Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
condamné, personne ne sait que c’est votre frère, au reste, c’est votre droit, comme bourreau, la veille de l’exécution. Mais surprise, imprévu, le prisonnier vous menace d’une dague, une dague que vous lui aurez remise officieusement. Officiellement, un gardien soudoyé la lui fit parvenir.
Bref, il vous prend comme otage, le couteau sous la gorge et descend avec vous, jusqu’à la sortie. Je suis en bas avec les chevaux. Il vous abandonne après vous avoir assommé, nous fuyons, lui et moi.
— Vous plaisantez ?
— Pas le moins du monde.
— Chimérique entreprise. Je risque ma place et peut-être ma tête.
— Je reviendrai vous payer. Je vais être riche. Le cardinal s’est engagé à me restituer mon héritage.
— Oui, sauf s’il apprend que c’est vous qui avez aidé mon frère à s’enfuir.
— Il n’en saura rien. Soyez sans crainte. De grâce, acceptez… Tenez, dit Edmond en posant sa bourse sur la table, c’est tout ce que j’ai.
Le bourreau hésite encore, mais il finit par prendre l’argent et par se lever.
— Bon. Allons-y.
Retour à la Bastille
Edmond de Villefranche attend près de la Bastille.
Il porte un masque à son visage et des pistolets à la ceinture. S’il le faut, il est résolu à faire feu. Malheur à qui les empêchera de partir, le mousquet à la main. Le bourreau est entré depuis un bon moment déjà, il ne devrait plus tarder. Il a accepté de lui céder le cheval de son père, pour favoriser la fuite de son frère.
Le voici. Il revient. Mais il est seul.
— Que s’est-il passé ?
— Il refuse de sortir.
— Comment cela ?
— On ne peut pas forcer un homme à vivre s’il préfère en finir, c’est aussi simple.
— Mais vous avez insisté ?
— Il se réjouit de savoir que je procéderai à l’exécution. C’est bien de réunir la famille , m’a-t-il dit avec une sorte d’insolence.
— C’est en effet bien de sa façon, ce genre de provocation. Mais vous, serez-vous prêt à faire tomber l’épée sur sa tête ?
— Vous ne pouvez pas comprendre. Ni joie ni peine. Ni remords ni plaisir. Je suis la main. Tenez, je vous rends l’argent, dit l’exécuteur sans grande conviction en tendant la bourse.
Edmond de Villefranche hésite un court instant, et finit par dire :
— Gardez-la. Je vous dois bien ça, pour ce que vous avez fait. Vous achèterez quelque chose pour les enfants.
— C’est entendu. Adieu, gentilhomme.
Le bourreau s’éloigne, après avoir repris sa jument et le cheval de son père.
Edmond n’a plus qu’une solution : suivre la piste que d’Artagnan lui a donnée. Il se remet en route.
Robert Hackard de La Hache n’a en effet pas de remords. Il a fait son choix. Il n’est pas entré dans la prison. Il n’a pas vu son frère. Il est resté là, à bavarder avec les gardes, au sujet du brigand Lanteaume et de sa tentative d’évasion, il voulait savoir ce qui s’était passé… en détail. Il accepta de prendre un verre. Après l’avoir vidé, il s’essuya les lèvres du revers de sa manche, salua ces messieurs et quitta la cour de la Bastille. Il ne fallait pas tarder davantage. La veille d’une exécution, un bourreau doit dormir de bonne heure, avant de se lever et de paraître, au meilleur de sa forme.
Robert de La Hache retourne donc chez lui où un nouveau visiteur l’attend de pied ferme.
Chapitre sept
Dans les coulisses de la place de grève
Antoine Boudin
Monsieur Philémon Janisse de La Ravoie ne se déplacera pas. Aujourd’hui, il va rester chez lui. Du reste, il est bien situé. En hauteur et du bon angle. La fenêtre de son bureau permet d’apercevoir, au loin, là-bas, la place de Grève, avec ce recul et cette distance prudente que doit conserver le critique en toutes occasions.
Monsieur Janisse de La Ravoie est donc face à la croisée de sa fenêtre, mais il ne regarde pas vraiment la place de Grève.
Si yeux se portent au loin, son esprit est ailleurs. Les événements dramatiques de la veille, ce visage, l’apparition de cet homme ont soudain retourné le fond du passé, ramenant à la conscience étouffée ce que le critique aurait tant voulu effacer des mémoires.
Janisse de La Ravoie… beau nom, en effet. Un nom inventé de toutes pièces, un nom autrement plus flatteur que l’original : Antoine Boudin. S’appeler Boudin quand on est le fils d’un artisan boucher, c’est être poursuivi par les rires, l’odeur de la viande avariée, le
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