Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
qui restèrent debout s’enfuient en courant. Certains sortent l’épée du fourreau, les gardes se rassemblent, pointent l’arquebuse.
Une troupe armée envahit la place au galop des chevaux. D’où vient-elle ? Qui la mène ? C’est en vérité un groupe éclaté, arrivant par plusieurs rues à la fois. Cette troupe de cavaliers portant le foulard au nez, le pistolet au poing, ne semble pas avoir de directeur. Tout se déroule tambour battant, et rapidement le chaos succède au désordre. Le prisonnier est enlevé à dos de cheval, ses bracelets de fer brisés net sont lancés derrière lui. Mais cette fuite est de courte durée et de brève avancée. Le destrier emportant l’évadé est violemment fauché en pleine course. Épouvantable scène. Il plie, s’effondre, renverse ceux qu’il entraîne. Main-gauche a sorti sa rapière, c’est lui qui vient de porter ce coup de faux à l’encolure de la bête. Il n’est pas seul, ses hommes lui prêtent main-forte, car un combat s’engage. Piétons et cavaliers y prennent également part. On décharge ses pistolets d’arçon au front de ses adversaires, on porte l’épée ou la dague, à bout touchant. Voilà la place de Grève changée en redoute. Nous nous joignons au nombre, Hercule, l’Alouette et moi-même. Je veux protéger la frondeuse, mais elle s’échappe, elle court la plume au vent, se portant sans peur à la rencontre des compagnons de Main-gauche, tandis que les archers désemparés sont défaits de leurs armes. Alors que nous entrons en lice, Main-gauche s’adjoint de nouveaux renforts, il s’allie la force des batteurs de pavés et des traîneurs de pavés encore présents autour de l’échafaud. Oui, Main-gauche lance un appel en jetant autour de lui l’or par poignets : Trois mille pistoles à qui me décroche la tête du condamné ! Trois milles pistoles ! De quoi ramener au giron de l’ancienne religion tous ceux qui auraient pu se laisser séduire par le discours du prisonnier. Main-gauche vient de monter un cheval, le sien. Il cherche don Juan de Tolède, la chasse est ouverte et il ne sera pas le dernier à y prendre part. Encerclé de toutes parts, Amadéor doit remonter sur l’échafaud, incessamment pris d’assaut.
Je ferraille aux côtés de l’Alouette, qui se démène comme une diablesse, tuant d’estoc ceux qu’elle n’a pu occire par les balles, car elle a fait feu, ses trois canons fument encore à son ceinturon. Quant à Hercule, il va pouvoir libérer son protecteur, ce père qu’il n’a pu reconnaître. Son fouet, cette fois, n’éloigne pas seulement les hommes pris de haine et de colère, il siffle à la face des assaillants. Il balafre, il meurtrit, il aveugle, il fait crier, repoussant à terre, le visage en sang, ces grimpeurs qui se hissent sur les planches de l’échafaud, tels des fourmis sur une montagne de sucre.
Don Juan de Tolède, lui, tient maintenant l’épée de justice après l’avoir enlevée des mains d’un de ses agresseurs qui s’en était saisi pour porter un coup puissant et fatal à la taille de l’invaincu. Il vient de trancher un homme par le milieu. Il va faire grande besogne de corps et de têtes, comme son père, mais un agresseur se jette sur lui, le désarme, avant d’être chassé à coups de pied. Main-gauche impose sa griffe, sa fameuse griffe de fer qu’il a passée à son bras amputé de son extrémité. Il déchire les chairs, lacère ces piétons qui furent dissimulés dans la foule, la rapière au flanc. Dans cette confusion de combats éparpillés autour de l’estrade, des changements surviennent. Je viens de renvoyer un nouvel adversaire, je reconnais devant moi Edmond de Villefranche qui tombe à point nommé pour nous prêter main-forte. Il va directement s’opposer au meneur, Main-gauche. J’en profite pour m’approcher de ce cavalier indélogeable. Je vois ses sacoches, je tranche les lanières alors que son bras armé s’oppose aux assauts du gentilhomme. Je les secoue, elles sont pleines. L’or de la trahison est là, l’or de la récompense, l’or de Judas. Tenez, messieurs, payez-vous, dis-je en le répandant à pleines mains, au plus loin de l’échafaud, pour éloigner la vermine, lui faire convoiter la manne après le gibier. Fou de rage, Main-gauche sent que tout lui échappe. Du pied, il frappe Edmond de Villefranche au visage, qui s’écroule. Je veux remplacer le gentilhomme, mais Main-gauche pique vers l’estrade. Il se jette de
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