Don Juan
le dernier hallebardier du cortège fut passé, avec la foule, il demeura convaincu qu’il venait d’écrire une page d’histoire – ce qui, d’ailleurs, était exact.
Le cortège étant passé, Corentin se dirigea lentement vers la Grève, se demandant s’il n’allait pas maintenant se transporter au Parvis, afin d’assister, du dehors, au Te Deum qui allait se chanter à Notre-Dame, et recommencer les mêmes cris, les mêmes vivats, les mêmes gesticulations de ses longs bras.
Un craquement terrible, soudain, sur sa droite… et une grande clameur…
Une estrade noire de monde s’écroulait !…
Jacquemin Corentin fit un bond vers cette chose qui oscillait et s’abattait et arriva juste à temps pour saisir, dans la frénétique gesticulation de ses longs bras, une jeune fille qui, sans cette soudaine intervention, eût été s’écraser parmi les débris de madriers.
La fille, éperdument, se cramponna au cou et aux épaules du bon Corentin, puis tout aussitôt s’évanouit dans ses bras.
Il y eut un grand tumulte.
Des groupes fervents s’empressèrent à relever les blessés, à déblayer les ruines de l’estrade, avec cette généreuse et prompte ardeur qu’on voit toujours au peuple en ces occasions.
Jacquemin se retira de la multitude, assez embarrassé de son fardeau, avisa une auberge, y entra, déposa la jeune fille sur une chaise, et lui fit boire un cordial.
Alors seulement, comme elle rouvrait les yeux, il eut loisir de la reconnaître et eut un léger cri de surprise.
– La fille du drapier ! songea-t-il. La petite Denise ! Celle-là même que mon maître veut épouser sous trois jours… car il est toujours très pressé en ces sortes de besognes…
Et comme avait dit Amauri de Loraydan, comme avait dit Clother de Ponthus, comme devait dire aussi don Juan le soir de ce jour, Jacquemin Corentin murmura :
– Ô destinée, voici de tes coups ! C’est Jacquemin Corentin qui sauve la fiancée de don Juan Tenorio !…
Et avec l’intonation spéciale au badaud parisien, il ajouta :
– Par exemple, c’en est un, de hasard !…
Denise, disons-nous, ouvrit les yeux, reconnut le valet de ce grand seigneur qui ne parlait de rien moins que de l’épouser, et elle le remercia avec effusion.
Hasard !… Jacquemin Corentin avait dit : hasard !…
Hasard ? Soit. Nous ne voyons pas pourquoi nous irions contredire ce brave garçon, mais… n’avait-il pas dit aussi : Destinée ?…
Destinée ?… Hasard ?… Le lecteur peut conclure : nous devons nous borner à conter l’aventure telle qu’elle se développa.
Jacquemin, donc, offrit à Denise de la reconduire jusqu’à la rue Saint-Denis, et elle accepta avec reconnaissance. Il lui proposa de s’appuyer sur son bras, et elle y consentit avec sa grâce ingénue. Il est vrai que, l’ayant regardé à la dérobée, le nez de son sauveur la fit sourire. Mais ce ne fut pas un méchant sourire de moquerie. Soit qu’elle eût trop bon cœur, soit que le service qu’on venait de lui rendre fût trop frais encore, soit pour tout autre motif enfin, il parut à Denise que ce nez, au bout du compte, n’était pas si désagréable à voir.
Nous croyons avoir dit que ce nez ne déparait pas le visage méditatif pour lequel la nature semblait l’avoir fait tout exprès.
Jacquemin s’aperçut bien vite qu’il inspirait quelque sympathie à la jolie Denise.
– Ah ! songea-t-il, si ce n’était mon nez !… Comme je demanderais à cette charmante demoiselle la permission de l’embrasser ! Mais mon nez me défend de telles effusions. Et puis, que dis-je ! Que dirait don Juan ! Il me rouerait ! Va, va, mon pauvre Corentin, elle n’est pas pour ton nez, comme disait ce mécréant qui me menaça de ses robustes poings.
Nous devons ici ouvrir une parenthèse pour informer le lecteur que dame Jérôme Dimanche, après le départ de Juan Tenorio, s’était empressée de mander par-devant elle sa fille Denise, et, la serrant dans ses bras, lui avait, non sans larmes et soupirs, appris qu’un grand seigneur, un comte breton, s’appelant le sire Jacquemin de Corentin, lui faisait l’insigne honneur de la vouloir comme épouse.
Denise qui, cachée derrière une porte, avait assisté à l’entretien de sa mère avec le seigneur en question, n’en fit pas moins l’étonnée.
Mais, fine mouche, subtile Parisienne qu’elle était, elle ne croyait qu’à demi à cet inconcevable honneur qui l’attendait.
Weitere Kostenlose Bücher