Douze
qu’il essayait tout simplement de passer le temps. Ce ne fut qu’aux premières heures du matin qu’il atteignit enfin sa destination et se présenta à la porte d’une maison particulièrement grandiose, certainement la propriété de l’une des plus riches familles de la ville. Elle n’était pas loin de la cave où j’avais laissé Iouda et Ioann brûler tant de semaines auparavant. Cette résidence paraissait étrangement préservée par rapport à celles qui l’entouraient. La zone n’avait pas souffert des incendies, mais aucune rue de Moscou n’avait été épargnée par les pillards, qu’il s’agisse de Moscovites ou d’envahisseurs. Tout le long de la rue, les fenêtres étaient brisées ; les portes, défoncées. Les pièces de butin rejetées – et les temps étaient assez durs pour que seuls les objets les moins pratiques (livres, peintures et autres) soient dévalorisés au point d’être exclus – étaient éparpillées à l’extérieur. Mais les fenêtres de cette maison étaient intactes, sa porte constituant toujours une barrière. Même la rue devant, bien que sale, était exempte des débris qui jonchaient le sol devant ses voisines. C’était comme si un fidèle serviteur était resté dans la maison et qu’il avait – par habitude et ignorant le tumulte autour de lui – conservé le bâtiment dans l’état de propreté qui lui seyait. Et pourtant, dans le chaos qui s’était abattu sur Moscou, aucune diligence n’aurait pu à elle seule maintenir un tel ordre. Une force incroyable aurait été nécessaire. L’absence d’ordures autour de la maison rappelait l’absence d’insectes dans le coin sombre d’une pièce où une araignée se tient en embuscade.
Le soldat déverrouilla la porte et entra, sans crainte de rencontrer le véritable propriétaire de la résidence. Bien que les riches et les puissants ne soient pas encore revenus à Moscou en grand nombre, beaucoup avaient au moins envoyé des domestiques en éclaireurs afin de réoccuper leurs propriétés. Peut-être les occupants de cet endroit avaient-ils fait de même. Un serviteur arrivant pour ouvrir la maison ne s’attendrait guère à la trouver infestée de vampires et se verrait rapidement régler son compte.
Malgré l’atmosphère prophylactique qui flottait autour du bâtiment – et dont l’explication n’était que trop facile à imaginer –, je ne pouvais être absolument certain que c’était l’endroit où la créature prévoyait de dormir. L’aube ne poindrait pas tout de suite et j’attendis donc un moment pour voir s’il allait réapparaître. Au bout de une heure environ, personne n’était sorti ou entré dans la maison. Même si je savais ce que je pouvais rencontrer à l’intérieur, je n’avais aucun doute quant au devoir que je devais accomplir.
Je me rendis jusqu’à la porte et essayai d’utiliser la poignée. Il ne l’avait pas verrouillée derrière lui. À l’intérieur, le corridor était sombre mais, sur une table, je trouvai une lampe à huile que j’allumai et gardai avec moi. C’était une grande maison aux nombreuses pièces : le vampire pouvait être caché dans n’importe laquelle. Je sortis mon poignard en bois et le tins fermement, conscient qu’à tout moment je pouvais être appelé à l’utiliser.
Je commençai par me rendre à la cave, sachant par expérience que c’était l’endroit où un voordalak établirait sa tanière, mais je ne trouvai rien de fâcheux. La seule chose notable était que le mur de la cave avait été grossièrement abattu, de sorte qu’elle était reliée à la cave du bâtiment adjacent. J’y jetai brièvement un coup d’œil, mais je n’y vis rien. Une légère odeur d’eaux usées salua mes narines. Je compris que la rue à l’extérieur devait être proche de la Neglinnaïa, l’affluent de la Moskova dans laquelle de nombreux égouts de la ville se jetaient. Durant les périodes fastes de Moscou – lorsque les gens étaient suffisamment nombreux et nourris pour saturer les égouts – la puanteur devait être bien plus forte ; néanmoins, quelque part au-delà de ce mur abattu, il y avait un passage souterrain vers cette canalisation publique.
Les chambres du rez-de-chaussée étaient vides elles aussi, bien qu’elles soient étonnamment bien meublées, comparées aux maisons que j’avais vues en ville. Les résidences qui n’avaient pas été vidées par leurs propriétaires en fuite avaient été
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