Du sang sur Rome
un
beau jeune homme, au moins aussi joli que Valeria. Et chacun sait que Sylla
jette ses filets de chaque côté du fleuve.
— Cæcilia !
Les yeux de Cicéron étincelaient, mais il contrôlait sa
voix.
— Que tu as l’esprit mal placé. Il suffirait d’un
geste, d’un regard. Sylla est assez vieux pour être son grand-père. Du charme,
rien de plus, Cicéron !
— Sylla ne me trouve pas charmant.
— Tiens donc ? Il a pourtant épousé ta sœur pour
sa beauté. Et tu lui ressembles assez pour être son frère.
Il y eut un petit bruit de salive. C’était Tiron, qui se
mordait les lèvres pour ne pas éclater de rire. Cicéron toussota pour couvrir l’incident.
— J’aimerais revenir en arrière, dis-je.
Trois paires d’yeux convergèrent vers moi. Cicéron eut l’air
soulagé, Tiron attentif, Cæcilia perplexe. Rufus gardait les yeux au sol.
— Tu as évoqué la sentence réservée au parricide. Je ne
crois pas être familiarisé avec la chose. Aurais-tu l’obligeance de m’éclairer
sur ce point, Cicéron ?
Le climat s’assombrit soudain, comme si un nuage avait voilé
le soleil. Cæcilia se cacha derrière son éventail. Tiron et Rufus échangèrent
un regard gêné.
Cicéron remplit son verre et se désaltéra longuement.
— Le parricide est rare chez les Romains. A ma
connaissance, le dernier cas remonte à la jeunesse de mon grand-père.
Traditionnellement, comme vous savez, un condamné à mort est exécuté par
décapitation, par crucifixion si c’est un esclave. En ce qui concerne le
parricide, la peine est très antique et très sévère. Ce sont les prêtres qui l’ont
établie, non les juristes, pour manifester le courroux de notre père Jupiter
contre celui qui attente à la vie de son géniteur.
— Je t’en supplie, Cicéron, fit Cæcilia dans un
battement de cils, c’est assez de l’avoir entendu une fois. Cela me donne des
cauchemars.
— Mais il faut que Gordien comprenne. Savoir qu’il s’agit
de la vie d’un homme est une chose, savoir comment on procède à la mise à mort
en est une autre. Voici ce que décrète la loi : dès la sentence prononcée,
on emmène le parricide hors les murs, au Champ de Mars, près du Tibre. On sonne
la corne et on frappe les cymbales pour appeler la population à témoin.
« Une fois le peuple rassemblé, le condamné est mis à
nu, comme au jour de sa naissance. Deux piédestaux à hauteur du genou sont
installés côte à côte. Le parricide prend position, un pied sur chaque, et s’accroupit,
les mains liées derrière le dos, de façon à ce que chaque partie du corps soit
livrée aux bourreaux. Ceux-ci sont chargés de le fouetter jusqu’à ce que le
sang jaillisse de ses blessures, ce même sang qui coulait dans les veines de
son père et lui donna la vie. Le fouet doit frapper partout, y compris sur la
plante des pieds et dans les profondeurs de son entrecuisse. »
Cicéron regardait au loin en parlant. Cæcilia le fixait
intensément par-dessus son éventail.
— On prépare un sac, assez grand pour contenir un
homme. Il est cousu de peaux si finement assemblées que l’air ou l’eau ne
peuvent y pénétrer. Quand les bourreaux ont achevé leur office, qu’on ne distingue
plus le sang de la chair à vif, on oblige la victime à entrer à quatre pattes
dans le sac. Celui-ci sera disposé à quelque distance des piédestaux, pour
permettre au peuple de le voir ramper, de lui lancer des ordures et des
malédictions.
« S’il refuse de s’y introduire, son supplice
recommence.
« Dans le sac, le parricide retourne à la matrice ;
il est à l’état fœtal. N’être pas né est une torture pire encore : on
introduit quatre animaux vivants. D’abord un chien, l’animal le plus servile,
et un coq, aux griffes et au bec spécialement acérés. Ce sont des symboles de
la plus haute Antiquité : le chien et le coq, le gardien et le veilleur,
garants de la lignée. Ayant failli à leur mission de protection, ils prennent
place auprès de l’accusé. On ajoute un serpent, le principe mâle, capable de
tuer tout en donnant la vie ; puis un singe, la plus cruelle parodie de l’homme. »
— Vous imaginez ? hoqueta Cæcilia. Vous imaginez
le raffut ?
— Tous les cinq sont cousus ensemble et portés sur la
berge. On ne doit ni rouler le sac, ni le frapper avec des bâtons : les
animaux doivent demeurer en vie le plus longtemps possible pour tourmenter le
parricide. Tandis que les
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