Du sang sur Rome
cause de toi qu’ils sont revenus, c’est ça ?
Est-ce qu’ils t’auraient vu le soir du meurtre ?
Il secoua sauvagement la tête.
— Non. Alors, ils sont allés trouver l’épicière. C’est
elle qui t’a dénoncé. Mais d’après la rumeur, c’est ta mère qui était au courant.
C’est vrai ? Elle était avec toi, à la fenêtre ?
Il continuait à secouer la tête en pleurant.
— En ce cas, tu es le seul témoin. Avec la vieille en
face. Mais elle a eu le bon sens de se préserver – et de les diriger
ailleurs. Tu as tout raconté à ta mère, n’est-ce pas ? Comme tu viens de
le faire avec moi ? Et elle a fait semblant que c’était elle, le témoin,
pour te protéger. N’est-ce pas que j’ai raison ?
Il sanglotait.
— Malheureux, soufflai-je. Ils sont donc revenus pour
la chercher. Ils l’ont trouvée à l’appartement. Tu étais là aussi ?
Il baissa la tête.
— Et ensuite ? Ils l’ont menacée ? Ils ont
proposé de l’argent ? demandai-je en pressentant le pire.
Le garçonnet se dégagea de mon étreinte. Il se mit à se
gifler lui-même, d’un côté puis de l’autre. Tiron se serra contre moi,
horrifié. Eco finit par s’arrêter. Il me défia du regard. Grinçant des dents,
grimaçant de haine, il leva les bras. Lentement, avec raideur, comme si c’était
contre son gré, il fit aller et venir ses mains et ses reins, en une pose
obscène. Puis contracta les poings, comme s’il s’était brûlé.
Ils avaient violé sa mère, Polia, qui n’avait rien vu, qui
serait restée innocente s’il ne s’était pas confié à elle, dont le seul crime
était d’avoir bavardé avec la voisine d’en face. Ils l’avaient violée, sous les
yeux de son fils.
Soudain Eco se précipita pour aller ramasser son couteau
dans la rue. Il le ramassa, vint me retrouver, prit ma main dans la sienne et
pressa mes doigts sur le manche.
Je regardai le couteau, soupirai et fermai les yeux.
— C’est pour que je le venge, murmurai-je à Tiron. Il
croit que nous lui rendrons justice.
11
Nous laissâmes passer le pire de la chaleur dans une petite
taverne. J’avais l’intention de poursuivre mon chemin pour retrouver Elena – la
Maison aux Cygnes ne pouvait guère être loin du lieu du crime – mais
le cœur me manqua. Nous retournâmes donc sur nos pas, jusqu’à la grande place.
Sur la pierre d’angle d’un petit immeuble, une mosaïque
représentant une grappe de raisin annonçait une taverne à proximité. C’était
une pièce sombre et humide, qui sentait le renfermé. Il n’y avait personne.
J’étais épuisé. Après une telle marche, j’aurais dû manger
quelque chose, mais j’avais l’estomac noué. Je commandai de l’eau fraîche et du
vin, et persuadai Tiron de se joindre à moi. La boisson lui ayant délié la
langue, je brûlais de l’interroger sur son intermède galant avec la fille de
Sextus. Si seulement je m’étais écouté ! Mais une fois n’est pas coutume,
je fis taire ma curiosité.
Tiron n’avait pas l’habitude de boire. Dans un premier
temps, il se lança avec entrain dans le commentaire des événements de la
matinée et de la veille, s’interrompant çà et là pour placer un mot de louange
à la gloire de son maître. Je n’écoutais que d’une oreille, hébété sur ma
chaise. Peu à peu, il se tut, fixant sa coupe d’un regard mélancolique. Il but
une dernière gorgée, étendit les jambes et s’endormit aussitôt.
Je finis par fermer les yeux moi-même. Sans jamais perdre
conscience, je somnolai par à-coups pendant un temps qui me parut extrêmement
long. Quand je me réveillais, c’était pour voir Tiron affalé sur sa chaise en
face de moi, la mâchoire pendante, dormant du sommeil du juste.
Je rêvais. Je me trouvais chez Cæcilia Metella, en train d’interroger
Sextus Roscius ; il marmonnait quelque chose, mais je ne comprenais pas un
traître mot. C’est quand il se leva que je remarquai sa cape noire. Il s’avança
vers moi en boitant atrocement ; sa jambe raclait le sol derrière lui. Je
m’enfuis dans le couloir, horrifié, mais voilà que les couloirs se
subdivisaient comme dans un labyrinthe. J’étais perdu. J’écartai une tenture et
le revis de dos. La jeune veuve était plaquée contre le mur, nue et en larmes,
tandis qu’il la violait sauvagement.
Mais comme souvent dans les rêves, cette vision se
transforma, et je vis avec stupeur qu’il ne s’agissait pas de la veuve, mais
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