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Du sang sur Rome

Du sang sur Rome

Titel: Du sang sur Rome Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Saylor
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de
la propre fille de Roscius. Elle ne témoigna aucune honte en me voyant, au
contraire, elle esquissa de loin un baiser et me tira la langue.
    J’ouvris les yeux. Mes mains reposaient sur la table,
tremblantes. Tiron dormait paisiblement en face de moi. J’avais la bouche sèche
comme de l’alun, tout était embrouillé dans ma tête. Je voulus appeler le
tavernier, aucun son ne sortit. De toute façon, cela n’aurait servi à rien :
lui-même s’était endormi sur son tabouret, les bras croisés, le menton calé sur
la poitrine.
    Je me mis debout. Mes membres étaient raides comme du bois.
J’allai jusqu’à l’entrée, grimpai les marches, repris l’allée jusqu’au coin et
débouchai sur la place entièrement déserte. La lumière était aveuglante. Je m’approchai
de la citerne, m’agenouillai et plongeai mon regard dans le bassin. Sa
fraîcheur me monta au visage. Je tirai le seau, m’aspergeai, et renversai le
reste du contenu sur ma tête.
    Je me sentis à nouveau presque humain, mais toujours aussi
faible. Je n’aspirai qu’à une chose : me reposer chez moi, à l’ombre du
portique, et contempler le soleil dans le jardin, avec Bast à mes pieds, et
Bethesda qui apaiserait mon front avec un linge humide…
    En fait de linge, c’est une main hésitante qui se posa sur
mon épaule.
    — Tout va bien ?
    C’était Tiron. Je respirai un grand coup.
    — Oui.
    — C’est la chaleur. Cette chaleur terrible, contre
nature, comme un châtiment. Elle engourdit la cervelle, prétend Cicéron, et
dessèche l’esprit.
    — Tu ne m’aiderais pas à me relever, plutôt ?
    — Il te faudrait t’allonger, dormir.
    — Non ! Le sommeil est le pire ennemi de l’homme
par cette température. Des cauchemars abominables…
    — Retourner à la taverne, alors ?
    — Non ! Enfin, oui. Je suppose que je dois quelque
chose pour le vin.
    — Ne t’inquiète pas. J’ai réglé. Comme le tavernier
dormait, j’ai laissé l’argent sur le comptoir.
    — Et tu n’as pas manqué de le réveiller en partant,
afin qu’aucun voleur ne le lui prenne ?
    — Cela va sans dire.
    — Tiron, tu es un parangon de vertu. Tu es une rose
parmi les épines. Une baie savoureuse parmi les ronces.
    — Je ne suis que le miroir de mon maître, fit-il, avec
plus de fierté que d’humilité.

12
    Pendant un temps, le soleil encore haut se cacha derrière un
voile de nuages surgi de nulle part. Ses rayons déclinaient, mais tout ce que
la ville avait absorbé de chaleur, elle le rendait à présent. Briques et pavés
irradiaient comme les parois d’un four. A moins d’un bon orage, les pierres
allaient diffuser la chaleur jusqu’au matin, cuire à petit feu la ville et tous
ses habitants.
    Tiron me pressait de rentrer chez moi ou, à la rigueur, de
retourner à pied chez Cicéron. Mais à quoi bon être arrivés si près de la
Maison aux Cygnes, si c’était pour repartir bredouilles ?
    Nous reprîmes l’étroite rue, dépassâmes le cul-de-sac où les
assassins s’étaient cachés et contournâmes la tache de sang, longeant l’immeuble
de la veuve. Le gardien dégingandé était assoupi sur les marches. Il ouvrit l’œil
et nous regarda, comme si notre entrevue remontait à des siècles et qu’il nous
avait complètement oubliés.
    La Maison aux Cygnes était encore plus près que je ne
pensais. On ne pouvait pas la rater : avec son luxe de pacotille, comme
elle devait éblouir les hommes de peu de moyens, qui s’y rendaient attirés par
sa réputation, à la lumière des torches ! Et d’un mauvais goût, ô combien
délicieux, pour un vieillard aussi raffiné que Sextus Roscius !
    Un portique en demi-cercle avançait sur la rue. Une statue
de Vénus était perchée dessus. Le travail de l’artiste était d’une médiocrité
affligeante, presque blasphématoire. Même Tiron ricana en la voyant. Une grande
lampe était suspendue sous la voûte du portique. Charitablement, on aurait pu
la comparer à un bateau, si la longue courbure terminée en pointe ne suggérait
plutôt un membre aux proportions obscènes. Combien de nuits Sextus s’était-il
fié à cette lumière comme à une sentinelle, pour atteindre cette grille noire
où je me présentai avec Tiron, et frappai sans vergogne en plein jour ?
    Un esclave vint nous ouvrir, un grand gaillard musclé qui
ressemblait plus à un gladiateur qu’à un portier. Il était d’une obséquiosité
rebutante et ne cessa de sourire et de

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