Duel de dames
d’angoisse. Il lui trouva l’air fatigué. Isabelle
était bien épuisée d’inquiétude dans l’attente du roi ; veiller sur ses
oiseaux trompait ses anxiétés.
— Furette ! Venez, que je vous montre
mes nouveaux protégés.
— Furette ? Ils sont donc plusieurs ?
— Chut, dit encore Isabelle en posant son
aiguière sur un tabouret.
Elle entraîna Jean la Grâce vers une cage où
gazouillaient des pinsons batailleurs. Dessous, un espace était dissimulé par
une courte tenture. Isabelle la rabattit avec précaution. La Grâce ne vit tout
d’abord qu’une paire d’yeux jaunes troués d’une pupille noire, puis, une boule
de poils fauves qui se ramassait sur elle-même en ouvrant une gueule rouge sur
des crocs acérés, crachant un feulement menaçant.
— Hier, expliqua Isabelle, un valet d’étable
m’a remis un panier où couinaient trois chatons encore aveugles ; ils n’avaient
guère que quelques jours. Que pouvais-je en faire, à cet âge, sans leur mère ?
Aussi je lui commandai de la retrouver et de me l’amener, sinon il faudrait
bien se résoudre à les noyer avant qu’ils ne meurent de faim. (Elle s’agenouilla
avec précaution tandis que l’animal feulait de plus belle, prêt à bondir.) Le
vacher a promis, mais en protestant qu’il ne savait rien d’elle, et qu’elle lui
arracherait les yeux s’il faisait mine de s’en saisir.
Toujours avec lenteur, Isabelle tendit la main
vers l’animal farouche.
— Ton vaurien de vacher l’a quand même
retrouvée à ce que je vois, constata Jean d’une voix retenue.
— Que nenni, chuchota-t-elle, le prodige, c’est
qu’elle est venue toute seule, et je ne sais comment elle a pu retrouver ses petits
et les atteindre, vu la hauteur et tous ces grillages qui ferment la salle aux
Ramages ?
— En effet, c’est grand prodige. Prends garde,
Reinette, c’en serait un autre si elle ne te laboure pas la main à t’en
arracher la chair.
Mais, avec étonnement, Jean la Grâce vit le museau
de la chatte se fermer et renifler longuement les doigts d’Isabelle. Puis, rassurée,
elle se recoucha, se tourna sur le côté, offrant son ventre gonflé de mamelles
à la gloutonnerie de sa progéniture. Enfin, sous la douce caresse de la reine, elle
se mit à ronronner.
— En effet, c’est grand prodige, répéta-t-il,
ébahi.
— Laissons-les, dit Isabelle en rabattant la
tenture sur la cache.
Elle se releva et s’étira en arrière, les mains
plaquées sur les reins, faisant saillir ses jeunes seins sous son bliaut par la
brusque béance de sa houppelande. Elle s’en emmitoufla aussitôt en frissonnant.
— Venez, frère Jean, allons dans ma chambre, il
y fait plus chaud. Et puis, nous les énervons.
En effet, les oiseaux étaient pris d’un coup de folie,
particulièrement la cage des perruches, véritable champ de bataille, virevoltant
de plumes de soleil, dans un concert de persiflages agressifs.
Alors qu’ils descendaient l’escalier à vis, deux
chambrières zélées vinrent à leur rencontre en tenant haut des flambeaux. Elles
les éclairèrent dans le dédale des couloirs sombres, tandis qu’Isabelle
expliquait que la chatte, tel un furet, avait dû se glisser par un improbable
interstice. Elle l’avait donc baptisée Furette, bien décidée à l’apprivoiser et
à l’adopter, elle ainsi que ses petits.
— Et que vas-tu faire de chats dans une
oisellerie, ne crains-tu pas pour tes précieux volatiles ?
En hiver, les multiples oiseaux chanteurs des
immenses cages des jardins de l’Hôtel étaient mis à l’abri, notamment dans les
colombiers des fermes. Isabelle ne gardait que les plus fragiles et les plus
exotiques. Elle avait la passion des bêtes, plus particulièrement celles à
plumes, tout comme elle aimait les fleurs et la poésie. Les enfants des cours
basses connaissaient la faiblesse de leur souveraine, et lui amenaient
fréquemment toutes sortes de bestioles, ravis d’en obtenir quelques pièces. La
plupart du temps, Isabelle leur rendait la liberté.
Jean la Grâce songea qu’elle aurait été plus
heureuse en simple châtelaine, à cultiver son jardin, que reine de cette cour
cruelle.
— Les oiseaux sont en sécurité dans leur cage,
lui répondit-elle, le treillis en est fin. Et les chats seront bien plus
occupés à se gaver des rats et des souris qui pullulent, qui s’engraissent des
graines, de pain sec, et même des œufs et des oisillons. Ils sont une calamité,
et les
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