Duel de dames
d’amandes, et la mordit avec gourmandise.
Puis ils parlèrent stratégie : qui était
responsable de l’état du roi ? Qui pouvait avoir discrédité Isabelle
auprès de son époux pour qu’il la repoussât avec horreur ? Qui faisait
tout le mal ? Valentine Visconti, à n’en pas douter. Ensemble, ils mirent
au point une campagne de calomnie visant la duchesse. Elle songea à Louis et à
leur étreinte avec un frisson de plaisir. Que penserait-il de ses menées contre
son épouse ? Qu’importe, il ne saurait jamais que cela venait d’elle. Elle
voulait abattre sa rivale, doublement rivale aujourd’hui.
— Faisons circuler des libelles dans Paris
peints aux armoiries des Visconti, proposa Louis le Barbu, qui achevait sa
troisième brochette d’anguilles.
— Il faut dire qu’elles sont affreusement
cruelles, s’esclaffa-t-elle. Nous ne les connaissons que trop bien, c’était le
blason de notre mère, Thadée Visconti, il est d’argent au serpent d’azur
ondoyant, couronné d’or, engloutissant un enfant de carnation, récita-t-elle en
utilisant les termes héraldiques.
— Bien, c’est parfait, rien ne saurait mieux
nous servir. Qui douterait que cet affreux serpent engloutisseur est la
Couleuvre milanaise ? Et faisons dire que l’innocent avalé tout vif est le
roi. Même ceux qui ne savent pas lire le verront, et en seront horrifiés.
— Il faut en faire une chanson !
— J’en parlerai à mes ménestrels, répondit le Barbu
qui semblait enchanté de la farce, et il attaqua de bon cœur les boudins aux
marrons.
Après avoir gaussé un moment sur Valentine, Isabelle
songea à sa propre réputation. Il fallait montrer combien la bonne reine
Isabelle était affligée. Il fallait faire valoir le sacrifice de sa fille Marie,
vouée à la guérison du roi, et combien sa mère en était dolente.
D’ailleurs, ce n’était pas faux. Il fut décidé
également qu’elle payerait de ses deniers, outre de multiples messes et dons
aux églises de Paris, un quéreur de pardon pour le salut du souverain, lequel
ferait au nom de Charles VI un pèlerinage à tous les grands sanctuaires du
royaume. De plus, Isabelle ferait le vœu très officiel que, dès le
rétablissement de son époux, ils feraient ensemble un pèlerinage au
Mont-Saint-Michel.
Pour apaiser le courroux de Dieu, et celui du
peuple, ils s’employèrent à trouver des moyens ostensibles pour purifier le
royaume. Certains noms portaient malheur, ainsi la porte de l’Enfer de l’enceinte
de Philippe-Auguste porterait désormais le nom de porte Saint-Michel. Isabelle
proposa de faire expulser les juifs, porteurs d’une terrible malédiction, destructeurs
des temples du Seigneur, empoisonneurs des puits et des âmes. Enfin, la
population serait exhortée, au son des trompes et des hérauts, d’amender ses
mœurs.
Louis de Bavière était chargé, au nom de la
reine, de faire valoir ces mesures au Conseil des princes. Isabelle l’assura
que le régent le soutiendrait en tous points.
Puis ils parlèrent affaires. Louis le Barbu
avait appris que le sire de Montaigu voulait vendre son hôtel Barbette, et
il pensait l’acquérir pour sa sœur. Isabelle connaissait cette grosse bâtisse, située
entre l’enceinte de Philippe-Auguste et celle de Charles V, au bout de la
rue Vieille-du-Temple. L’hôtel donnait sur la Culture Sainte-Catherine et
Saint-Gervais. Elle fut immédiatement séduite par le projet. Bien sûr, il y
aurait à faire des travaux d’embellissement dignes d’une reine, mais Louis se
faisait fort d’en faire supporter les frais par le Trésor royal.
Isabelle était lasse de l’Hôtel solennel des
grands Ébattements, de la division qui régnait à la Cour entre les Germaniques
et les Italiens, des querelles et des rivalités, et de se sentir sans cesse
guettée. La perspective d’y échapper l’enchantait. Dans un hôtel bien à elle, proche
de la résidence royale mais suffisamment éloigné et isolé, elle mènerait son
train à sa guise, elle en ferait son nid d’amour avec le duc d’Orléans. L’hôtel
Barbette s’ouvrait sur de vastes espaces et des champs où s’éparpillaient de
grosses fermes, elle y sentit le souffle d’une liberté retrouvée, de l’amour
renouvelé. Ce qui lui donna une faim soudaine et elle se gava de barioles et de
bouchées à l’avoine [72] .
— Tu as des étincelles dans les yeux, ma
princesse, lui dit son frère avec un sourire. Si je ne te
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