Duel de dames
son frère, Louis le Barbu. C’est une hérésie de clamer que Dieu veut
le bonheur des hommes, qu’il ne Se réjouit pas du carême et des pénitences, et
qu’il tient en horreur les flagellants !
Mais Isabelle savait que son confesseur n’abjurerait
jamais. Il n’avait d’ailleurs pas fui quand il avait appris qu’on allait l’arrêter,
malgré les supplications de la reine. Il fallait un miracle, il fallait que le
roi se rétablisse promptement. Elle avait songé à solliciter à nouveau Nicolas
Flamel, mais celui-ci lui avait fait parvenir récemment un courrier pour la
remercier de lui avoir envoyé un élève si doué. Daniel de Chevreuse avait,
disait-il, fait des progrès en calligraphie en quelques mois, là où d’autres
mettaient des années. Il songeait à faire du jeune homme un maître enlumineur, car
il avait la main et l’ambition. Quant aux Germaniques qui gardaient si bien son
échoppe, il les réconfortait de brouet chaud car le froid était mordant. Ce
diable d’alchimiste avait tout déjoué.
— Cet homme est un sorcier ! s’était-elle
exclamée, folle de rage.
— Cesse de le harceler, ma princesse, lui
avait répondu son frère. Tu t’humilies pour rien. Et qui te dit qu’il possède
ta potion magique ?
Isabelle, elle-même, se mit à douter. « Tu
cherches une clef qui n’ouvre aucune porte », lui avait dit Zizka qui lui
parlait de moins en moins. Elle mettait ce silence sur le compte de son grand
péché d’amour.
« Il n’y a pas de péché d’amour », lui
répétait souvent Jean la Grâce. Et c’était pour cela qu’il risquait le bûcher.
Le 11 janvier 1395, Isabelle accoucha d’une
fille qu’elle appela Michelle en l’honneur du grand saint Michel. Elle ne douta
plus du sexe de la semence. Elle avait vingt-trois ans et avait eu sept enfants
déjà, cinq filles et deux garçons, dont l’un de Bois-Bourdon, l’autre du Saint
Prépuce de Jésus.
À la fin du mois de ses relevailles, elle apprit
que son confesseur était condamné comme hérétique. Il avait subi la question, mais
n’avait pas abjuré. Elle ne pouvait se résoudre à imaginer son jovial aumônier,
les jambes prises dans des brodequins qui faisaient éclater la chair et les os.
Elle obtint de l’Église l’autorisation de le voir
une dernière fois dans sa cellule, par faveur pour son rang. C’était tout ce qu’elle
avait pu obtenir.
Elle le trouva dans un état si misérable qu’elle
tomba à genoux près de sa paillasse, où il était allongé dans son
cul-de-basse-fosse, et éclata en sanglots. Il était pouilleux et hâve, il avait
considérablement maigri, sa barbe avait poussé en une broussaille jaunâtre, ses
cheveux fauves étaient si gras qu’ils collaient à son crâne comme une peinture.
Des croûtes de sang marquaient ses pieds et ses mollets, certaines étaient
purulentes. Elle supposa qu’il en était ainsi sur tout son corps, vêtu de sa
bure en loques. Il avait résisté à la torture. L’air de la geôle, chargé des
miasmes de l’humidité et de la souillure des corps, était irrespirable. Elle
aurait voulu le supplier d’abjurer, mais elle savait que ce serait en vain, car
il était au bout de son chemin, comme il le lui confirma dès ses premiers mots.
— Ne pleure pas, Reinette. Je serai bientôt à
la droite du Seigneur. Dieu est bon, et personne ne pourra me faire dire autre
chose.
— Pourquoi tant d’obstination ? Pourquoi
en mourir ? hoqueta-t-elle.
Il resta un moment silencieux, puis se mit à
parler avec difficulté et lenteur tant il était épuisé.
— Je vais te dire un secret, ma jolie reine. J’ai
bien connu ta mère, Thadée Visconti. C’était la plus belle femme que je connus,
tu es bien sa digne fille. J’étais alors un jeune tonsuré, à la foi pure et
naïve, avide de connaissances et je pérégrinais dans toute l’Europe, dit-il, cherchant
sa respiration. Oui, reprit-il, Thadée était belle à couper le souffle, comme
celui qui me manque en ce jour, et sa beauté me retint en Bavière plus que
nécessaire. Elle était dévote, à couper le souffle aussi, celui de sa propre
vie. Il n’était nulle pénitence qu’elle ne s’infligeât, elle faisait carême
jusqu’à l’inanition, se flagellait, portait le cilice à s’arracher la peau, faisait
oraison à outrance et se serait fait crucifier avec jouissance en bénissant le
nom de ses bourreaux. Ainsi se fana l’éclat de la fleur de sa jeunesse,
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