Duel de dames
aîné contre elle, la reine n’alla pas accueillir sa fille
bien-aimée : elle était enceinte des œuvres de son époux. Comme la
poétesse, quand elle tint enfin sa fille dans ses bras, ensemble, elles
pleurèrent longtemps de bonheur.
Le 27 octobre 1401 naissait Catherine, en
mémoire de l’amie d’enfance de la reine. La semence du roi était résolument
femelle. Isabelle, privée d’amour, pensa à renouer avec Louis d’Orléans. Mais
il s’affichait toujours avec Mariette d’Enghien.
*
La reine avait dit à Christine de Pisan qu’elles
allaient bien s’amuser avec son dernier écrit : Épître au dieu d’Amours ,
elle ne s’attendait pas à une telle conspiration contre l’écrivaineresse. Jean de Montreuil,
qui avait décrit Christine comme une « femme ignorante d’entendement et de
sentiment léger », ne désarmait pas et rameutait contre elle les clercs de
l’Université. Une femme avait osé porter la contradiction à Jean de Meung,
« très dévot et très élevé théologien, ce très divin orateur et poète ».
Ce fut La Querelle du Roman de la Rose.
Christine de Pisan, vilipendée de toutes
parts, porta l’affaire devant la reine, première dame du royaume et médiatrice
toute désignée, sa cour d’amour était le champ idéal pour ces joutes en
courtoisie.
Isabelle se souvenait d’avoir lu maintes fois, dans
la librairie de sa mère, Thadée Visconti, le Roman de la Rose, avec sa
sœur Catherine. Elle connaissait parfaitement le long poème de Guillaume de Lorris
qui magnifiait la femme et la courtoisie chevaleresque avec finesse et élégance
de style. Mais sa mère avait fait expurger la deuxième partie, écrite par Jean de Meung.
Elle s’employa à combler ce manquement et en finit la lecture fort courroucée. Elle
apprit que, en ce temps, les dames de la Cour avaient entrepris un jour de le
dépouiller tout nu et de le fouetter. Elle en aurait fait autant.
Elle réunit donc sa cour d’amour. Il y avait foule
dans la salle d’apparat dite aux Bourdons. Mézières sortit de la solitude de sa
cellule pour y assister. Elle invita même Nicolas Flamel, protecteur de l’écrivaineresse,
qui accepta, dit-il, « en mémoire de sa défunte dame Pernelle qui moult
aima fort Christine ».
Les maîtres furent conviés à venir plaider, parmi
lesquels Jean de Montreuil, Gontier Col et même Jean de Gerson, célèbre
prédicateur et théologien, chancelier de l’Université de Paris.
Ce lit de justice était l’événement de l’année, le Roman de la Rose était connu de tous, célébré comme la bible de la
littérature. Les courtisans s’y bousculèrent, atournés de leurs plus beaux
accoutrements et joyaux. Une forêt de hennins, en forme de cornes ou d’oreilles,
de voiles, de chaperons à plumes, en crêtes de coq, ou à longues queues, s’inclinèrent
au son des trompes, quand Isabelle prit place en majesté sous le dais d’honneur,
auprès de son royal époux, qui allait mieux et qu’elle espérait divertir.
Christine de Pisan, sur un signe de la reine,
se leva et alla se mettre au pupitre des orateurs. Elle fut conspuée un moment
par des voix d’hommes en nombre. Les dames attendaient. Les trompes sonnèrent
de nouveau, et un héraut tança la salle : « Oyez, oyez, noble
assemblée en courtoisie, sans faire pis, entendre notre dame Christine de Pisan ! »
La poétesse était vêtue modestement d’un mantel
violine, qui marquait son récent deuil, coiffée d’une guimpe blanche à deux
ailes à voilette, et une étoffe légère enserrant son menton soulignait la
finesse de son visage. Elle semblait si frêle que le cœur d’Isabelle se serra. Mais,
quand sa voix s’éleva, elle était ferme et claire. Elle commença par saluer les
souverains dans les termes redondants habituels, puis elle s’adressa à l’assemblée.
— Très chers sires et maîtres, très sages en
mœurs, experts en sciences, en clergie et rhétorique, moi, femme ignorante d’entendement
et de sentiment léger, que votre sagesse n’ait mépris de la petitesse de mes
raisons, mais veuillez suppléer par la considération de ma féminine faiblesse. Éminent
Jean de Montreuil, frère Gontier Col, vous m’avez interpellée par mémoires
sur mon petit esprit, me reprochant d’avoir lu Jean de Meung sans rien en
comprendre. Je l’ai lu, et l’ai relu, et trouvé plus encore ces dits vers
extrêmement grossiers, je n’y ai vu que dissolution et vices,
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