Duel de dames
maladie.
Orléans et la reine respirèrent. Ils ne
souhaitaient guère la présence de Jean sans Peur.
À la fin de l’été, le roi revint au gouvernement
et reçut les doléances de certains de ses conseillers, outrés de l’autoritarisme
du duc d’Orléans qui décidait de tout à sa guise, sans en avertir personne. Une
nouvelle taille venait d’être levée sous prétexte d’une guerre avec l’Angleterre,
guerre sans cesse annoncée, mais jamais déclarée. Jean sans Peur avait fait
savoir officiellement qu’il s’opposait à ce nouvel impôt et qu’il en dispensait
ses sujets.
Le roi décida alors d’un Grand Conseil où il
souhaita de nouveau la présence de son cousin bourguignon. Mais le pauvre Charles VI
retomba en errance, une crise plus violente que jamais. Il semblait que, chaque
fois qu’il voulait gouverner, la maladie le reprenait, et à nouveau les poisons
furent évoqués.
Tant pis si Charles VI était encore empêché, le
roi avait convoqué le Conseil et c’était l’occasion pour Jean sans Peur de
faire son retour à Paris. Il le ferait avec des démonstrations de forces, car
il représentait l’ordre, celui des réformes des corps constitués, celui qui
assainirait les finances, le sauveur providentiel. Il avait préparé les
Parisiens par des libelles et des prises de positions officielles, et les
bourgeois s’apprêtaient à lui faire un triomphe.
La reine comprit alors combien elle avait été
aveugle malgré l’alerte de Jacques Legrand. Elle constata avec son beau-frère
qu’ils avaient manqué de vigilance. Et l’on disait Jean sans Peur à
Louvres-en-Parisis à la tête de cinq mille lances.
À l’hôtel Barbette comme à l’hôtel des Tournelles,
ce fut la panique. Ils se réunirent en urgence.
— Pars avec le duc d’Orléans, lui conseilla
Louis le Barbu. En aucun cas, vous ne devez tomber entre les mains de
Bourgogne !
— Ton frère a raison, admit le duc d’Orléans.
Nous n’avons aucune force en dedans, il nous faut fuir afin de les regrouper
au-dehors.
— Nous ne pouvons laisser les enfants !
— Vous n’avez pas le temps, il faut quérir
des litières et organiser leur départ. Je m’occupe de tout avec le maréchal de Boucicaut
et ses hommes. Nous vous rejoindrons à Melun.
— Je les y attends, dit Isabelle, c’est un
ordre de la reine.
Alors qu’ils s’enfuyaient par la forêt de
Vincennes en petit équipage, Louis le Barbu prépara en grand secret le
départ des enfants. Il se fit le lendemain dans l’après-midi, alors qu’il
pleuvait à torrent. La progéniture royale, épouvantée de ce désordre, de cette
pluie cinglante rayée d’éclairs aveuglants et des roulements du tonnerre, fut
poussée sans ménagement dans une barge qui les emmena jusqu’à Vitry. Des
litières les y attendaient, sous la même pluie battante, qui les conduisirent
jusqu’à Villejuif où ils firent étape.
Jean sans Peur fut averti aussitôt de la situation.
Par qui ? Il fut dit que c’était un membre de la mesnie de la reine. Avec
deux mille chevaux, il galopa à bride abattue et intercepta le convoi à Juvisy.
Il y eut une grosse querelle entre Jean sans Peur, Louis le Barbu et l’imposant
Boucicaut. Il y eut même des horions entre les chevaliers, sous les yeux
terrifiés des enfants.
— C’est un ordre de la reine ! hurlait le Barbu.
— Madame Isabelle a la tutelle de ses enfants !
braillait Boucicaut.
— C’est l’enlèvement scandaleux de mon gendre
le dauphin et de ma petite-fille Marguerite ! hurla non moins fort le duc
sans Peur.
L’escorte des enfants royaux n’était pas de taille
à lutter. Jean de Bourgogne fit tourner bride à tout l’équipage et ramena
les princes et princesses à l’hôtel de Saint-Paul. Puis il conduisit, sous les
acclamations des Parisiens, le dauphin et la dauphine de France, qu’il plaça
sous la garde de Berry au Louvre.
Louis le Barbu, Boucicaut et ses hommes
avaient continué leur chemin pour alerter la reine et son beau-frère de la
mésaventure.
Le duc d’Orléans envoya tout aussitôt une lettre
de protestation au Parlement, dénonçant le détournement des jeunes princes et
la détention du dauphin : « La très honorée reine de France, par
ordonnance royale, possède la garde et le nourrissement des enfants royaux et a
donné commandement de les conduire à Melun. Il s’agit d’un rapt honteux, commis
à Juvisy, où l’autorité du roi a été bafouée. En
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