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Duel de dames

Duel de dames

Titel: Duel de dames Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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Orléans. Capucine a raison, sa croisade, il en est depuis toujours coiffé.
    Et il lui vint en tête la représentation tant
contée des nuits orientales, envoûtantes de douceur et de parfums, de la beauté
des femmes nues et emperlées qui ondulaient des hanches aux rythmes lancinants
des tambourins, en des pays où coulaient l’or et le miel, comme des fontaines. Il
se vit vêtu de la tunique blanche, tissée de la glorieuse croix écarlate. Il
avait été nourri des chansons de geste qui exaltaient les actes de bravoure des
preux de jadis. Tous ces mirages lui semblaient tout à coup à portée de main.
    — À n’en pas douter, nous allons faire
croisade ! lança-t-il avec enthousiasme.
    Explosant de joie, il esquissa un petit pas de
danse en faisant tinter les clochettes de ses poulaines, puis il se mit à mimer
un combat d’estoc et de taille.
    — À moi, la terre de Barbarie, les Ottomans !
En garde les émirs et leurs janissaires ! À moi sultan Bajazet, l’artificieux
qui se dit Bajazet la Foudre…
    — Je te l’interdis ! interrompit la
duchesse. Pas avant que tu m’aies fait un fils. Je l’exige !
    — Elle interdit, elle exige ! rugit
Louis au comble de l’excitation chevaleresque. Faut-il encore châtier cette
femelle arrogante ?
    D’un bond prodigieux, il sembla s’envoler vers le
lit. En atterrissant, il faillit écraser son épouse qui poussa un grand cri de
ravissement. Le contrecoup fit rebondir le petit Capucine comme une balle. Il n’évita
la chute sur les marches en contrebas qu’en se rattrapant de ses deux bras
courts à l’une des colonnes d’angle du baldaquin.
    — Sus aux infidèles, Dieu le veut ! rugit
encore le duc en se vautrant sur sa femme. Je vais te faire des fils, des fils
à faire une armée de croisés.
    — Pauvre Jérusalem, ceux-ci n’y sont pas
encore, ironisa Capucine en se laissant glisser du vaste lit qui tanguait.
    Alors qu’il se dirigeait vers la sortie, un cri de
fureur et le son alarmant d’une clochette lui firent précipiter le pas. Il eut
juste de temps de fermer la porte derrière lui qu’une poulaine de son maître s’y
écrasait avec violence.
    Valentine éclata d’un grand rire, protesta qu’il lui
fallait à nouveau s’apprêter avec diligence, protestations qui se conclurent d’un
cri de douleur et de volupté.

5
Dieu le veut !
    Le linceul de Lirey [25] , en
Champagne.
    Un drap, à l’image du Christ crucifié, est exposé
dans la collégiale à l’adoration des fidèles sous l’autorité de sa propriétaire,
veuve du chevalier Geoffroy de Charny. Le pape Clément VII a autorisé
les ostentations, mais l’évêque de Troyes les interdit sous peine d’excommunication.
    Charles VI a diligenté une enquête qui a
conclu à la fausseté de la relique, et a confirmé l’interdiction de l’évêque.
    Le pape Clément, par une bulle du 6 janvier 1390,
vient d’autoriser l’exposition du suaire, mais avec des restrictions :
« Celui qui fera l’ostentation devra, toute fraude cessant, avertir le
peuple à haute et intelligible voix que ladite figure n’est pas le vrai Linceul
de Notre-Seigneur, mais qu’elle est une peinture. »
    Mémorandum de Pierre d’Arcis, évêque de Troyes, 1389
    — Pas avant qu’il ne m’ait fait un fils, murmura
Isabelle, le regard noyé dans les immenses prunelles d’un bleu délavé de sa
fille aînée, la petite Jeanne.
    Elles se tenaient à l’hôtel de Sens, dans un
vestibule attenant à la chambre où-git-le-roi [26] d’où s’échappaient
les éclats de voix de Taillevent [27] que Charles avait
fait convoquer. La première dame d’honneur de la reine avait choisi cette
antichambre pour y installer sa filleule, avec ses berceuses et sa nourrice, ainsi
elle avait été proche du roi, dont l’état avait réclamé ses soins attentifs, et
de la fillette. Dès le premier souffle de l’enfant, Ozanne s’était faite sa
protectrice : « Laissez-moi aimer Jeanne en votre place, madame. Elle
ne durera pas, laissez-moi cette fois la douleur de son trépas. » La reine
se souvenait des paroles de sa dévouée dame d’honneur, alors qu’elle-même, trop
exténuée de ses couches, encore inconsolée de la mort de son premier-né, rejetait
l’enfant débile. Madame Jeanne, née en juin 1388, allait sur ses deux ans.
Extrêmement chétive, elle vivait comme vivent les plantes, elle ne savait pas
marcher, se tenait à peine assise, restait impavide, le regard vide, la

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