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Duel de dames

Duel de dames

Titel: Duel de dames Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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Isabelle avait fait mander son chapelain, Jean la Grâce, qui lui avait
administré l’extrême-onction. Durant la funèbre cérémonie, le roi avait soudain
cessé de respirer. Il était resté plusieurs secondes les yeux fixes, exorbités.
Un instant terrifiant. Et puis, dans un immense soupir, il avait enfin murmuré :
« Ainsi soit-il ! », comme une réponse à l’officiant. Alors il
avait refermé les yeux, et s’était endormi paisiblement avec un sourire
extatique. La fièvre l’avait quitté.
    Rien n’avait filtré de son état extrême, Arégonde
comme les valets qui avaient assisté Ozanne étaient restés cois par accord
tacite, et par grande affection pour leur souverain.
    L’entrée intempestive de Taillevent dans l’antichambre
ramena Isabelle au présent. Ce formidable cuisinier d’art comme de corps, chef
des broches, seigneur souverain des cuisines royales, n’était rentré du Midi
que de la veille, et déjà Charles décidait d’un festin pour ce soir même. Taillevent
s’inclina bas devant la reine.
    — Je sors de chez le roi, madame, avec tous
mes respects, puis-je me fournir en les cuisines de votre hôtel de quelques-uns
de vos queux de bouche, quelque vaisselle précieuse…
    — Tout ce que vous voulez, maître Taillevent,
le coupa Isabelle. Voyez maîtresse Arégonde, elle vous fournira son aide et
tout ce qui vous est nécessaire.
    — Le merci, madame, mes chariots sont encore
sur la route…
    — Allez, maître Taillevent, vous avez grande
besogne.
    Le cuisinier s’inclina, et s’apprêtait à sortir
quand il se retourna.
    — Dix, pas un de plus ! Vous y veillerez,
madame.
    Il sortit à grands pas pressés. La grosse voix de Taillevent
avait effrayé la petite Jeanne qui avait lâché le sein de sa nourrice en
émettant une plainte stridente.
    — Comme le roi semble sorti d’affaire, dit
Ozanne en se levant, je pense qu’il est temps de la ramener à l’hôtel de la
Pissotte, près de sa petite sœur.
    Isabelle acquiesça, la tête ailleurs. « Dix, pas
un de plus. » Sans doute parlait-il du nombre des convives, ainsi il n’y
aurait pas de grand festin, conclut-elle avec soulagement, car, malgré son
excitation, le roi était encore bien faible. Restée seule, elle s’étira sur sa
banquette, et s’y allongea avec un soupir d’aise, elle se sentait lasse. Pourtant
la journée était loin d’être terminée, et elle s’inquiétait pour son époux. Depuis
son réveil, il trépignait d’exaltation. Durant sa chaude maladie, il était mort,
répétait-il avec conviction. Il avait vu à cet instant une céleste lumière, et
comme il s’en approchait, une voix douce lui avait dit : « Retourne, roi,
ce n’est pas l’heure. » Mais la lumière était si admirable qu’il ne
voulait la quitter, alors la voix avait encore dit : « Dieu le veut ! »
    — Ainsi Dieu me le commande. Nous irons nous
battre contre les Sarrasins pour leur arracher le cœur même de Jérusalem, ne
cessait-il de dire. J’ai usé deux vies, affirmait-il encore, l’une en guerres
mécréantes, l’autre en luxure. Dieu, dans Sa miséricorde, m’en accorde une
troisième pour Sa gloire.
    La croisade avait toujours été son rêve de preux. Le
roi était à l’image des enluminures qui chantaient les prouesses chevaleresques,
il l’était de corps et d’esprit. Il était attaché aux codes et aux vertus des
commandements jurés lors de l’adoubement. L’idéal d’autrefois du chevalier, défenseur
de la faiblesse et protecteur de l’Église, s’était avili dans les fastes de la
représentation, oublieux des obligations et du vœu d’humilité. « Tu feras
aux infidèles une guerre sans trêve et sans merci », Charles n’avait pas
oublié ce devoir dictatorial et, aujourd’hui, il se sentait en mission.
    C’est dans cet état d’esprit que l’on vint lui
annoncer ce jour, à haute none, l’arrivée d’une délégation génoise qui
demandait audience. Le roi décida de les recevoir sur-le-champ, sans cérémonial.
Lors de son voyage, il avait appris qu’il avait navré les Méridionaux qui lui
faisaient grief de sa froideur. Il est vrai que ceux-ci n’étaient guère
accoutumés aux usages de France, qui voulaient que le beau visage de Charles VI
soit de marbre quand il se présentait en majesté. Que ne le voyaient-ils en ses
fêtes, où le roi le plus affable de la Chrétienté débridait sa jeunesse et son
appétit de vivre à outrance. Chagrin de

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