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Duel de dames

Duel de dames

Titel: Duel de dames Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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mots.
    Resté seul, Louis grimpa sur le banc, se pencha
au-dehors, et vit : la place était noire de monde, une foule immobile, bourdonnante
de sourdes oraisons, en attente, prête à se mettre en mouvement. Le peuple
attendait des nouvelles de leur souverain, Charles le sixième, dit le Bien-Aimé.
La moindre étincelle pouvait mettre cette foule en folie, et l’annonce de la
mort du roi serait comme la foudre qui incendie la forêt en son entier. L’hôtel
des Chanoines n’était pas une bastille, mais un chétif rempart contre la force
décuplée par la colère populaire.
    Louis se laissa tomber sur le banc de pierre où il
se tassa sur lui-même, comme pour disparaître. Il avait tout juste dix ans
lorsque la révolte des Maillotins avait ensanglanté Paris. Il se souvenait du
climat de terreur, comment il avait été éloigné hors de la capitale en toute
hâte avec sa petite sœur Catherine, dans la nuit, comme des proscrits. Il en
avait gardé une peur panique de la fureur aveugle de la plèbe. Et nul secours à
attendre de l’armée qui avait été débandée.
    Sa notoriété aujourd’hui était sans conteste en
mauvaise posture. On lui reprochait luxure, légèreté, prodigalité, égoïsme. Le
peuple murmurait contre lui, et qu’en serait-il s’il savait qu’il s’essayait à
l’alchimie avec l’astrologue de Valentine ? L’alchimie était considérée
comme une hérésie par l’Église. Ce ne serait plus des murmures mais des cris de
haine si on venait à savoir qu’il était l’un des instigateurs de l’apparition
du fantôme dans la forêt du Mans. Tout pouvait se retourner contre lui : l’art
des poisons des Italiens ; son beau-père Jean-Galéas, assassin de
réputation et de fait ; le roi enfin, l’accusant de traîtrise et voulant
le tuer dans sa crise de folie. Cela faisait beaucoup, cela faisait trop. L’effroi
s’était insinué en lui comme s’il avait à nouveau dix ans, il le tenait, le
vidait de toute appétence.
    Que lui dirait le cardinal Pierre de Luna ?
Ses conseils paternalistes lui manquaient. « Quand un obstacle se dresse sur
ta route, recule. Ce n’est point lâcheté, c’est pour mieux sauter », lui
avait-il dit souvent. Ou encore : « Il faut savoir se faire oublier, et
revenir quand on ne t’attend plus. »
    C’étaient sages paroles. Régent de France, c’était
trop s’exposer. Il fallait attendre que la rumeur se lasse contre lui, et se
tenir coi. C’était ce que le cardinal de Luna lui aurait conseillé.
    Il décida de renoncer à ce droit et de ne plus
quitter le chevet de Charles, de s’afficher en frère aimant, soucieux de son
état, en priant le Ciel qu’il s’en remette. Il s’y rendit aussitôt, mais, à le
revoir dans son absence morbide, il songea qu’il eût fallu un miracle.
    Le miracle était au Mans, en la personne obstinée
d’Ozanne de Louvain. Elle celait dans son aumônière une fiole de la
liqueur mystérieuse de Nicolas Flamel. Avec Louis de Bavière et Christine de Pisan,
ils avaient exécuté les ordres de la reine. Quand ils s’étaient présentés en
quémandeurs rue des Écrivains, le maître de céans étant absent, ce fut sa
compatissante épouse qui les avait reçus. Ils avaient obtenu l’élixir sans
difficulté de dame Pernelle, qui soignait avec dévouement les nombreux
souffrants du quartier de la Grande Boucherie.
    Dans la chambre de Charles, Louis d’Orléans tenait
la main de son frère, rongeant son frein et excédé par les médecins du roi, qui,
sans égard pour le gisant, se querellaient à propos de remèdes. Ils se mirent
enfin d’accord, il n’y avait qu’un moyen : faire sortir la bile noire, qu’ils
disaient accumulée dans la tête du malade, en lui perçant le crâne. Louis en
fut horrifié, alors qu’ils s’apprêtaient à commander un vilebrequin. À ce
moment, des hurlements hystériques éclatèrent derrière l’huis.
    — C’est une diablesse, elle a corrompu notre
sire de sa luxure. Vade retro, Satana ! Qu’on la chasse, qu’on la
brûle ! Qu’elle n’approche pas le roi, au nom de Dieu !
    Louis d’Orléans, furieux, se résolut à sortir. C’était
Pierre de Foissy, l’aumônier de Charles VI, qui hurlait ainsi, ravagé
de tics, prêt à agresser avec violence Ozanne de Louvain que protégeait
Louis de Bavière. Il faut dire que son fanatisme avait été mis à rude
épreuve quand le roi, non sans une certaine malignité, lui avait confessé

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