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Duel de dames

Duel de dames

Titel: Duel de dames Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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que vous nous prêchez tant ?
    — Et que je prêcherai toujours. Mais il y a
plus : sa bannière était d’argent à la croix de gueules [60] . Bien après son
martyre, c’est ainsi qu’il apparut aux premiers croisés qui assiégeaient en
vain Jérusalem. Il se proclama le général des croisés et leur ordonna de monter
vaillamment à l’assaut sous sa bannière, et le Christ leur donnerait la
victoire sur les Sarrasins. Ce qui fut fait. Et désormais, c’est sous la
bannière blanche à croix rouge de saint Georges que l’on fait croisade, qui
symbolise la victoire de la Foi sur le Mal.
    La croisade, Sa croisade. Lors de sa crise en
forêt du Mans, il lui restait des images violentes : dans la touffeur du
désert, il était Georges, un soldat du Christ en route pour Jérusalem, environné
de traîtres qu’il combattait avec bravoure. Mais il avait tué des innocents.
    — Pourquoi m’avoir fait tuer ces quatre
jeunes gens ?
    — Pour te rappeler ceux que tu sacrifies à
tes guerres vaines. La guerre est un dragon qui terrifie le peuple et mange ses
enfants.
    — Ainsi, si je suis possédé, c’est par un
saint qui me rappelle à mes devoirs ?
    — Je le crois.
    — Mais, quand je suis Georges, j’ai pour écu
un lion transpercé d’un glaive, et non un dragon comme sur les iconographies de
ce saint.
    — C’est encore une allégorie, le dragon et le
lion sont des mangeurs d’homme, ils sont le mal, ils sont la guerre. Et quitte
à troquer tes Fleurs de lys pour un lion, lève plutôt la bannière de saint
Georges. Dieu le veut !
    Charles resta un moment bouche bée. « Dieu le
veut ! » : telle était la voix céleste qui l’avait ramené à la
vie lors de sa grosse fièvre après la course avec son frère. C’étaient son
idéal courtois et sa mission chevaleresque que lui rappelait encore le Seigneur.
Un idéal qu’il allait gaspiller avec sa campagne de Bretagne. Il avait été
rappelé à l’ordre par l’ermite dont il avait peu de mémoire, qui le suppliait
de retourner, mais il ne l’avait pas écouté. Alors Dieu lui avait envoyé saint
Georges qui, lui, l’en avait détourné. Tout devenait limpide et son visage s’éclaira
enfin.
    — Vous avez raison, mon maître, cela est
grand prodige. Dieu ne m’a pas abandonné.
    Le roi s’était rendu, mais, à le voir si radieux, Mézières
soupira, il se sentait très las tout à coup. Il se leva lourdement.
    — Va maintenant, mon noble roi, va te reposer
et méditer dans ta cellule. Nous te ferons porter du vin et de quoi te
restaurer. Nous verrons demain comment satisfaire saint Georges, mais aussi
comment limiter les pouvoirs des princes des Fleurs de lys si ce saint te
possède à nouveau. Va, mon fils, va en paix.
    Charles se leva, tout ébloui de cette révélation.
    — Je vais prier ardemment saint Georges. Je
suis si heureux de m’être confié à vous. Pierre de Foissy s’en serait si
épouvanté qu’il m’aurait fait exorciser d’un démon. Je suis bien aise que ce
soit un saint, et que Dieu me parle à travers lui.
    — Et au cas où saint Georges te reprendrait, demain
nous verrons ensemble comment mettre de l’ordre dans ce gouvernement, insista
Mézières.
    — Certes, il en a bien besoin à ce que je me
suis laissé dire.
    Charles donna l’accolade à son ancien précepteur, et
sortit, tout rasséréné.
    Philippe de Mézières resta longtemps songeur,
puis alla s’agenouiller sur le prie-Dieu, devant la croix de simple bois qui
ornait le mur. Il se signa et joignit les mains.
    — Pardonnez-moi, Seigneur, d’abuser de la
naïveté de votre royal serviteur, mais mieux vaut être possédé du divin, que de
se savoir fou. Épargnez-le, mon Dieu, épargnez-lui les souffrances de la
démence, ce n’est qu’un enfant.
    Durant trois jours pleins, personne ne vit Charles VI.
La reine, en revanche, était partout, elle multipliait les donations aux
abbayes, faisait abondance de charité, ordonnant des neuvaines, priant
elle-même pour remercier le Ciel de la guérison du roi. Elle n’oublia pas de
proclamer que Dieu avait sauvé le souverain d’empoisonnement et d’ensorcellement.
Chacun entendit magie et poisons italiens, et la rumeur se gonfla à nouveau. Isabelle
n’oubliait pas sa propre guerre avec Valentine, et, avec son entourage, l’appelait
sans vergogne la Couleuvre milanaise, en espérant bien que la rue reprendrait
cette appellation venimeuse lancée par la duchesse

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