Duel de dames
de Bourgogne. Enfin, elle
fit porter un hanap d’or et de cristal à Nicolas Flamel, ce qui amusa ce
dernier en voyant dame Pernelle s’extasier. Ses yeux pétillèrent de malice sous
ses sourcils broussailleux.
— Bien ! laissons faire. Puisque tu
aimes tant les cadeaux, qu’importe le breuvage. Nous ne pouvons rien contre la
rumeur, alors servons-nous-en, et, comme c’est la foi qui sauve, donne à qui
réclame.
— À ce jeu, nous allons finir par pourrir dans
les geôles ecclésiastiques, et périr sur un bûcher.
— Bah ! Qui mettrait en prison une mine
d’or où chacun espère puiser ? répondit-il avec ce sourire édenté qui lui
rendait l’innocence d’un nouveau-né. (Il réfléchit un instant.) Mais précise
toutefois, pour tes remèdes, qu’il faut avoir le cœur pur pour une totale
efficacité.
— Mais mes potions sont efficaces, protesta
dame Pernelle.
— Tu as connu des revers, tu n’es pas Dieu, et
on attend un miracle de tes potions. Ce qu’ils veulent, c’est l’Élixir parfait,
celui de la distillation de la Pierre philosophale qui donne santé et
immortalité. Le cœur pur sera le garant d’éventuels déboires de tes médications.
Qui peut prétendre n’avoir rien sur la conscience ?
— Je t’entends, mais que cherches-tu avec mes
préparations ?
— Mais la fortune, ma bonne Pernelle, une
fortune accrue aux dépens des riches pour nos pauvres. J’ai dans la tête de
faire peindre une vaste danse macabre dans la galerie du charnier des
Saints-Innocents. (Il s’enflamma, dessinant dans les airs la fresque imaginaire
de son rêve.) Une farandole menée par de sinistres squelettes, où les hommes, qu’ils
soient pape, nobles, marchands, paysans, voleurs ou mendiants, suivraient
pareillement le branle avec la Grande Faucheuse. (Il éclata de rire.) Voilà de
quoi mettre en garde les puissants, et consoler les miséreux : car il est
dit que le plus gras sera le premier puant. Et telle que j’espère cette grande
représentation, cela coûtera, tu peux m’en croire.
— Comme tu y vas, mon ami, la reine a tenu
parole et garde le secret. Nul à cette heure ne réclame ton fameux élixir.
— Elle n’est pas seule dans le secret, aussi
ce n’en est pas un. Comme je te l’ai déjà dit, il n’y a pas de secret qui
tienne avec le temps.
Dame Pernelle approuva avec un sourire. Si de riches
demandeurs se présentaient, elle vendrait ses potions à bon prix, mais elle les
donnerait toujours aux indigents.
*
Lorsque le roi daigna enfin se montrer, ce fut avec
toute la gravité de sa majesté. Il décréta un lit de justice où tout fut rondement
mené. Après avoir gracié les Marmousets, et qu’il leur fut rendu biens et
demeures qui leur avaient été confisqués, il promulgua les ordonnances
suggérées par Philippe de Mézières.
Le plus dur, pour le sage Célestin, avait été de
faire accepter le limogeage d’Olivier de Clisson. Il lui fit valoir qu’il
y aurait incompatibilité entre Bourgogne et le connétable. Il lui fallait
choisir. Et n’était-ce pas le Boucher borgne qui l’avait entraîné dans cette
folle campagne de Bretagne ? Charles tergiversa, puis, à regret, il fit
envoyer un courrier à Clisson pour lui demander de rendre l’épée de la
connétablie, et accepta Philippe d’Artois, comte d’Eu, déjà nommé à la charge
par Philippe le Hardi. Ayant accordé cette faveur à Bourgogne, il fallait
faire un geste pour Berry, Charles lui rendit la lieutenance du Languedoc. Les
Languedociens en furent consternés.
Enfin, estimant qu’il avait satisfait tout son
monde, vint le moment du serment sur les Évangiles. Ils jurèrent tous
solennellement, avec bonne grâce, de se conformer à la volonté du roi en cas « d’empêchement ».
Puis, avec la reine, il fit pénitence en faisant
les pèlerinages ordonnés par Pierre de Foissy. Il commanda d’élever une
chapelle expiatoire à l’endroit de la tragédie de la forêt du Mans, pour
conjurer le maléfice du lieu. Il la fit dédier à saint Georges. Partout sur son
passage, le peuple était en liesse, heureux de voir son roi en si bonne santé.
Charles VI fut de retour à l’Hôtel début
décembre. Après avoir ordonnancé l’avenir et fait contrition, il voulait la
fête. Il était temps d’organiser les noces de Catherine de Fastavavin avec
son chevalier germanique, Etzel d’Ortembourg, prévues pour le mardi précédant
la Chandeleur, le vingt-huitième jour
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