Eclose entre les lys
tort.
— Le Navarre ! murmura le roi, effaré.
— Le Navarre, confirma Bourdon, satisfait d’avoir
mené Charles là où il voulait.
Qui disait « poison » disait « Navarre ».
Ce roi, dit Charles le Mauvais, était aussi surnommé par la vox populi le Grand Empoisonneur, dont on ne comptait plus les crimes. Ce proche parent de
la maison de France [11] ,
avait, à plusieurs reprises, tenté de faire assassiner le défunt roi Charles V,
et encore tout récemment, les ducs de Berry et de Bourgogne. Navarre
revendiquait depuis toujours la couronne de France, ce mariage et la
perspective de la venue d’héritiers mâles ne pouvaient que l’enrager.
Le doute n’effleura même pas le roi. Il se dressa,
vibrant d’une colère furieuse.
— Je porterai dans ses États la foudre et le
feu ! J’y porterai ma vengeance. Je le provoquerai en duel judiciaire
devant tous, et Dieu guidera mon épée jusqu’au cœur de ce traître, de ce lâche !
Bourdon laissait le roi rugir sa souffrance et sa
furie.
— Je pars sur l’heure avec toute mon armée. Gentil
Bourdon, je te laisse la reine, tu la protégeras, tu la choieras. Tu lui
parleras de moi sans cesse. Tu lui diras combien j’ai été dévoyé d’elle par
traîtrise. Que je l’aime sur mon âme, que je lui apporterai le cœur encore
fumant de ce félon de Navarre.
Alors qu’il reprenait son souffle, au comble de l’exaltation,
le sénéchal intervint d’une voix déterminée :
— Cela ne se peut, gentil sire.
— Cela se peut et cela se doit ! Pour l’amour
de ma mie.
— Comment justifier une telle campagne armée ?
Voulez-vous rendre public que le roi a forcé la reine au soir de ses noces ?
Pensez à la Cour, pensez à la Bavière. Cela ne se peut… pour Isabelle.
Charles réfléchissait. Il revoyait le visage
martyrisé de sa si jolie épouse, et la honte le submergea.
— Ne ferons-nous rien ? demanda-t-il
avec détresse.
— Si fait, monseigneur, Charles le Mauvais
mourra par traîtrise, comme il a vécu. Je te le jure solennellement, pour l’amour
de la reine, je tuerai le Navarre !
Le regard de Bois-Bourdon était à cet instant
terrible. Jamais ses yeux d’aigle n’avaient été aussi noirs.
— Par Dieu, s’étonna le roi, il semble que c’est
toi qui te venges.
Oui, c’était bien la vengeance qui faisait
flamboyer les yeux du sire de Graville. Le Navarre était l’un de ses trois
violeurs, il tenait là l’occasion de le lui faire payer avec la bénédiction de
Charles VI.
— Tout ce qui touche à la personne de mon roi
touche à ma personne, gentil sire, se contenta-t-il de répondre.
Le roi lui donna l’accolade, ému.
— Jamais je n’ai eu plus grand ami que toi, mon
frère.
— Je n’attendrai que votre ordre, messire.
— Tu le recevras, répondit le roi âprement.
À cet instant, Philippe le Hardi vint aux
nouvelles. Charles se précipita vers lui et lui tomba dans les bras :
— Bel oncle, savez-vous ?
— Je sais, répondit Bourgogne.
— Je souffre malemort, mais mon ignominie n’a
d’égale que celle du Navarre qui m’a empoisonné. Le savez-vous aussi ?
— Je le sais aussi, beau neveu, dit le duc.
Par-dessus l’épaule de Charles, il jeta un coup d’œil
satisfait à Bois-Bourdon qui lui avait suggéré ce stratagème. Car enfin, il
fallait bien que le roi ne fût pas coupable, et Bourgogne répugnait à accuser
la Brabant. Pour l’instant.
Il repoussa doucement son neveu, le tint à bout de
bras par les épaules en le fixant droit dans les yeux.
— Nous te vengerons de ce méchant homme.
— Quand ? Le sire de Graville n’attend
qu’un signe.
— Pas de précipitation, l’heure viendra, je
te le jure. Mais pour le moment, il faut absolument garder secrète cette nuit
malheureuse. Trop, déjà, se posent des questions.
Puis changeant de sujet, il lui fit part du
courrier de Flandre, arrivé le matin même. Il annonçait les menaces que la
ville de Gand et l’Angleterre faisaient peser sur la flotte française, et la
réunion du Conseil pour une heure de vêpres.
Le roi décida qu’il y prendrait sa place. Il avait
déjà rompu le projet de partir châtier ces Flamands afin d’éblouir sa dame et
obtenir son pardon.
*
Le Grand Conseil réunissait les princes des Fleurs
de lys, Berry et Bourgogne, ainsi que les conseillers Bureau de la Rivière,
le cardinal de Laon, le connétable Olivier de Clisson, l’amiral de
mer Jean
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