Eclose entre les lys
s’aviser
de cette sensibilité de damoiselle, indigne d’un chevalier.
Au cœur de son âme perdue d’effroi, il crut s’entendre
appeler imperceptiblement. Il leva la tête. Le seigneur de Courtemay avait
les yeux grands ouverts.
— Gentil Adémard, vous voilà vivant ?
— Que cela fleure bon le foin, murmura le
blessé.
Le chevalier délirait, il se mourait, il n’était
nul remède. Charles VI éclata en sanglots bruyants.
— Je vous les recommande, ajouta encore le
moribond.
— Je pourvoirai dame de Fastatavin, réussit
à articuler Charles. Sur la Croix, je la pourvoirai de la meilleure façon, elle
et ton enfant.
Adémard de Courtemay avait-il entendu ? Son
regard était vide. L’eau verte de ses yeux, où aimait tant à se perdre
Catherine, se troublait, devenait lentement vitreuse.
Il avait rendu l’âme.
*
Alors que le chevalier de Courtemay se mourait,
il se tenait Grand Conseil sous le pavillon des chefs de guerre, en l’absence
du roi qui ne s’intéressait plus au siège de Damme. Philippe le Hardi
présidait dans une grande envolée de colère :
— Il faut en finir ! Le temps est encore
clément pour une traversée. L’amiral attend les renforts de la flotte française.
Et l’Angleterre s’arme, exaspérée des attaques de Jean de Vienne sur son
flanc de l’Écosse [21] .
Il déroula un parchemin aux sceaux des armes d’Angleterre.
— Voilà ce que son roi, Richard II, prétend
écrire à notre amiral :
On pourrait avec raison vous accuser d’une
aveugle présomption pour avoir osé porter jusque dans ce pays les armes
françaises ! Vous deviez savoir que de tels outrages ne resteraient pas
impunis. Ainsi, vive Dieu, tous ceux qui suivent vos bannières tomberont
bientôt sous le fer victorieux des Anglais et seront abattus comme des arbres
inutiles ! Ou réduits au désespoir, ils trouveront la mort au milieu des
précipices et des abîmes !
Il jeta avec fureur le parchemin sur la table et
tapa du poing.
— Par Dieu, ne répondrons-nous pas aux
insultes faites à notre amiral ? Allons-nous perdre encore beaucoup de
notre temps sous les remparts de cette ville félonne alors que nous aurions dû
déjà porter tous nos efforts outre-mer ? Allons-nous attendre que Richard
traverse le premier avec ses navires ? Il est temps de se replier sur l’Écluse
où se masse notre glorieuse flotte, et de porter les armes en territoire ennemi
en leur faisant haute guerre.
Les chefs militaires approuvèrent unanimement à
grands cris. Mais le connétable Olivier de Clisson, le vainqueur de
Roosebeke et de tant d’autres combats, se leva de toute sa formidable stature. Ce
colossal Breton, à l’aspect redoutable, avait perdu un œil au cours d’un
engagement. Il avait été le compagnon du grand Du Gesclin, et se faisait
remarquer sur les champs de bataille par la férocité et la puissance de ses
coups de hache, creusant des trous sanglants dans la mêlée. Ce qui lui valait
son surnom : le Boucher borgne.
Clisson dominait de sa stature toute l’assemblée
des capitaines de guerre, le duc de Bourgogne lui-même semblait en être
rapetissé.
— Prétendez-vous, monseigneur, rétorqua le connétable
à ce dernier, en appeler à l’abandon du siège alors que vous nous avez tant
pressés à le faire ?
Le Hardi était effectivement en pleine
contradiction avec ses objectifs précédents. C’est qu’il avait analysé la
situation en fin politique. Certes, l’avant-port de Damme était un point fort
sur la côte, une porte ouverte aux Anglais. Gand ne s’y trompait pas en y
faisant garnison, car sa propre résistance ne tiendrait que par le soutien de l’Angleterre.
En conséquence, en avait conclu Philippe de Bourgogne, soumettre l’Angleterre, c’était
soumettre Gand et toute la Flandre. Aussi, la patience du Hardi s’exaspérait à
Damme.
— Il s’agit de stratégie, répliqua-t-il
durement, et je revendique le droit d’en changer. L’armée s’épuise pour une
poignée de Gantois sise en ce port. Nos pertes sont importantes. Le
ravitaillement ne suit plus. Les hommes sont rationnés, grondent et se
démobilisent. Qu’avons-nous à faire de Damme si nous portons diligemment et
directement l’attaque en Angleterre ?
— Qu’ira faire la glorieuse armée royale en
territoire anglais si elle ne sait même pas faire capituler trois garnisons
ennemies ? Nos hommes s’épuisent et ont faim, dites-vous ? Il en
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