Elora
l’essentiel. Cet enfant chéri qu’elle ne voulait pas enterrer.
Ce dix-neuf novembre, elle sortait de la chapelle contiguë au corps de logis lorsqu’un équipage s’annonça dans la cour principale.
Depuis que le roi Charles de France avait convaincu ses vassaux de venir grossir les rangs de l’host dans son ambition de croisade et de reconquête de Naples, les courtisans se trouvaient moins nombreux au château de la Bâtie. Seules les dames de compagnie de Sidonie, comme elles privées d’époux, y séjournaient encore. Là où autrefois des dizaines de litières allaient et venaient dans un ballet joyeux, on ne voyait plus guère que les charrettes de marchands franchir les portes du corps de garde.
Aussi, comme ses amies qui venaient d’assister à l’office, Sidonie s’arrêta-t-elle sur les marches du parvis pour détailler cette troupe frappée d’armes inconnues, un pincement d’angoisse au cœur.
Les guerres laissaient de nombreuses années durant les castels à la merci des audacieux. Les châtellenies changeaient de main par le biais d’attaques intestines. Même si Sidonie voyait mal qui aurait eu assez de cran pour oser investir la Bâtie, elle n’était pas à l’abri d’un fou venu d’une autre région.
Déjà, autour d’elles, ses compagnes s’étaient resserrées, saisies d’une même curiosité.
Sidonie fit taire leurs cancaneries en les abandonnant sur place.
Tout en descendant les marches pour s’en venir à la rencontre du visiteur, elle se convainquit du fait que les gardes en faction n’auraient pas autorisé l’accès du château à une vingtaine de soldats si la personne qui ouvrait la porte de la litière n’avait été d’importance et, qui plus est, sans intention belliqueuse.
Lui la reconnut à peine le pied posé à terre. Il s’immobilisa près de la portière, se fendit d’un large sourire et, d’une main zébrée de fines cicatrices, repoussa sa lourde cape de voyage vers l’arrière, révélant une cotte de velours frappée d’une femme-serpent que traversait une plume d’aigle.
Le cœur de Sidonie s’emballa. Elle s’avança plus vite, scrutant le visage mangé de barbe, refusant d’y croire, mais déjà des larmes lui brûlaient les yeux.
Lorsque Enguerrand de Sassenage ouvrit ses bras, elle poussa un cri de joie et se mit à courir, indifférente à tout pour serrer contre elle ce miracle vivant.
6
Hélène avait égaré la notion du temps dans la pièce sombre qui abritait ses retrouvailles avec Djem. Avides l’un de l’autre, ils s’étaient étreints à même le somptueux tapis, comme autrefois dans la paille d’une grange, avec la même fougue, la même urgence, le même manque. Ce jourd’hui pourtant, tout était différent. Ils n’étaient plus en fuite. Au contraire, dans cette Rome d’immoralité, leurs caresses nourries d’un amour sans faille évoquaient la pureté.
Blottie contre le torse épaissi de son amant, une jambe repliée sur sa cuisse, Hélène soupira d’un plaisir qui continuait d’irradier jusqu’à son âme. Aucun homme ne l’avait touchée depuis dix années. Elle eût pu se satisfaire d’une servante comme autrefois d’Algonde, mais Hélène n’avait pas réussi à en retrouver le goût. Elle l’avait compris avec désespoir. Elle n’aimait l’amour que dans l’amour. Et ce dernier était longtemps resté inaccessible.
Se nourrissant du parfum épicé de la peau brune, elle frotta sa joue contre la poitrine exagérément velue de Djem.
— Aucun autre que toi, assura-t-elle en relevant la tête vers son menton souligné d’une barbe taillée en pointe de lance.
Djem la pressa plus fortement contre lui de son bras replié et tourna vers elle un visage illuminé de félicité. Leurs lèvres se joignirent. Jamais il n’avait oublié leur goût framboisé. Jamais il ne s’était abreuvé avec autant de soif à d’autres sources.
Lorsqu’il la repoussa légèrement, ils manquaient l’un et l’autre de souffle et, comme deux enfants au terme d’une course, éclatèrent d’un rire léger.
— J’ai l’impression d’avoir tout oublié… murmura-t-il, son regard bleu saphir dans le sien piqueté d’or. Toutes les privations, tout qui ne fût toi. Je te veux à mes côtés, Hélène, jusqu’à ma dernière heure. Je veux te voir étendre sur l’Orient l’éclat de ta lumière. Je veux me nourrir de ta beauté comme d’un jour nouveau à chacun de mes
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