Elora
temps. Des coups brefs et répétés choquèrent soudain le bois de la porte. Elle tressaillit contre le dos de son fils, tourna la tête pour crier.
— Je ne veux pas être dérangée !
— Pardonnez-moi, Votre Seigneurie, mais c’est de toute importance.
La voix de Dumas. Il n’était pas dans les habitudes du capitaine de sa garde de se présenter à pareille heure. Elle s’excusa à l’oreille d’Enguerrand.
— Quelques secondes et je reviens. J’ai tant à te dire…
Il tapota le dessus de sa main. La libéra.
— Plus tard, maman… Plus tard. Nous avons tout le temps désormais.
Déjà Enguerrand lui faisait face. D’un doigt tendre, il essuya une larme qui avait suivi le sillon du nez, sourit tristement. Il s’en voulait de l’avoir laissée si longtemps sans nouvelles, mais qu’avait-il en dehors du désespoir à lui faire partager ? Du plus loin qu’il se souvienne, sa mère l’avait toujours compris et consolé. Toujours.
— Je me permets d’insister, dame Sidonie…
— Voilà, voilà, j’arrive.
Comme son fils, Sidonie se drapa dans un voile de dignité et marcha droit sur la porte.
Dumas tenait son chapeau d’une main. L’autre était accrochée au bras d’une souillon qui gardait le visage baissé.
— Que se passe-t-il ? s’inquiéta Sidonie en s’effaçant pour le laisser entrer dans le bureau de Jacques de Sassenage, où son fils et elle s’étaient retranchés.
Dumas et l’inconnue s’immobilisèrent sous le christ en croix qui ornait le mur.
— J’ai ici quelqu’un qui demande votre protection et réparation pour le mal qui lui a été fait.
Sidonie le foudroya du regard.
— Où avez-vous la tête, Dumas ? Je ne vois là rien qui n’ait pu attendre demain.
— Mille excuses, Votre Seigneurie. À vous aussi, messire Enguerrand…
À ce nom, un petit cri de surprise s’échappa de la bouche pincée de la jouvencelle qui se précipita aux pieds du chevalier et s’agenouilla, les mains jointes, le visage tendu avec une chaleureuse ferveur.
— Mais enfin… s’insurgea Sidonie.
— Vous devez m’aider, messire. Au nom de notre enfance, il vous faut me venir en aide. Me venger. C’est moi. Vous me reconnaissez, n’est-ce pas ?… La petite Fanette.
— Fanette… répéta Enguerrand, la fille du forgeron ?
Fanette hocha la tête avant de se tourner, ruisselante de larmes, vers Sidonie.
— Je vous en supplie, dame Sidonie. Ils me tueront s’ils savent que j’ai parlé.
— Mais qui, grand Dieu ? demanda Sidonie, troublée.
Ce fut Dumas qui répondit, l’œil noir de vengeance, la main sur le pommeau de son épée.
— Les brigands menés par Villon. Ce sont eux qui l’ont capturée voici dix années.
*
Elora dodelinait de la tête, amusée de la transformation qui s’opérait devant elle et pour laquelle cette fois elle n’avait eu besoin d’aucune magie. La jeune fille pouffa devant l’œil noir que lui renvoya le miroir.
— Cesse de te moquer, la gronda Hélène, désespérée quant à elle de voir s’effondrer une à une sur le sol marqueté de sa chambre ses jolies boucles châtain.
À défaut d’obtempérer, Elora appuya une nouvelle fois sur les ciseaux qu’elle manœuvrait d’une main inexpérimentée.
— Voilà, c’est fait.
Hélène soupira à fendre l’âme. Elle ne se reconnaissait plus. Et comme si cette coupe courte et irrégulière ne suffisait pas, il fallait encore qu’elle passe ce qui lui restait de cheveux au brou de noix.
— Moi, je vous trouve très jolie comme ça, assura Elora en posant l’instrument du malheur de sa mère adoptive sur la coiffeuse, juste à côté de la poudre brune.
Hélène grogna.
— Comment pourrait-il m’aimer encore avec cette tête ? C’est de la folie. De la folie pure. Et je suis plus folle encore d’y céder, au lieu d’affronter ouvertement cette catin de Lucrèce !
Elora, qui, en taille, rivalisait déjà avec Hélène au point qu’on en oubliait son âge, noua ses bras autour de son cou et rapprocha sa bouche de son oreille.
— Croyez-moi, mère. C’est mieux ainsi.
Leurs regards se rejoignirent dans le miroir. Le vert d’eau des yeux d’Elora était devenu sombre soudain et Hélène frissonna.
— Elle est si dangereuse que ça ?
Elora lui sourit, une once de défi dans ses yeux de nouveau limpides.
— Laissez-moi régler cette affaire. Vous le savez, je suis mieux armée que vous contre les
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