Elora
avait déjà pris ses quartiers d’hiver autour d’un lac peu profond. Des ponts de pierre, naturellement creusés, répondaient çà et là aux besoins des différents lieux de vie. Grâce aux fruits de la rapine, les recoins s’habillaient d’apparat et offraient aux couples un peu d’intimité, isolant les familles les unes des autres.
Dans l’endroit le plus vaste de la grotte, sur le sol de calcaire poli, se trouvait l’espace communautaire. Des bancs de bois, la table en forme de fer à cheval, simples planches posées sur des tréteaux mais que les femmes garnissaient à plaisir de nappes, changées deux fois par semaine. Si la vaisselle était dépareillée, c’était que chacun ayant reçu sa part de butin ramenait la sienne pour les repas. De même que les chandeliers à deux, trois ou cinq branches qu’on allumait pour manger. Du coup, quel que fût le menu, riche ou pauvre de viande selon la saison et la chasse, le moindre dîner s’habillait de faste comme en un château.
Les seigneurs du lieu vaquaient pourtant en valets, dans un ballet incessant. À cette heure, les hommes s’activaient autour d’un large feu, proche de l’entrée. Deux sangliers et un chevreuil doraient sur la broche tournée par des jouvenceaux qui tiraient la langue. C’était un mets qu’ils ne goûteraient bientôt plus et apprécieraient pour tel dans quelques heures. Au-dessus d’un deuxième foyer, plusieurs marmites frémissaient. Là, une fumée âcre s’échappait des branchages qu’on avait disposés au-dessus de la viande découpée en lamelles. Elle servirait, avec les jambons accrochés plus loin, de ravitaillement pour les jours maigres de l’hiver. Un groupe d’hommes s’en occupait. Un second rechargeait les brasiers. Reprenant son ancien métier, et malgré le moignon de son poignet droit, Mathieu repoussait à la pelle de belles miches de pain à la farine de châtaigne dans le four qu’il avait confectionné avec Villon.
Le forgeron assisté de ses fils refroidissait des fers de lance dans un autre gour.
Les plus petits des enfants se pourchassaient en une guerre imaginaire. Les grands formaient des clans, les filles fourrageaient dans les coffres en quête de beauté, les garçons dans les armes qu’ils espéraient essayer à la prochaine embuscade.
Malgré l’espace dont disposait leur communauté, il n’était pas un endroit où Petit Pierre pouvait entraîner Bertille sans qu’aussitôt quelqu’un le remarquât.
Il lui suffisait de se souvenir de toutes les fois où il avait pisté les amoureux avec son frère et ses compagnons, s’amusant de leur colère, pour en être convaincu.
C’est sans doute cela qui lui donna le courage. Il inspira une grande bouffée et, prenant l’air le plus mystérieux qui soit, planta son regard ocré dans celui d’azur de Bertille.
— J’ai découvert quelque chose, dit-il. Quelque chose de…
Il hésita, voyant son œil s’allumer.
— … Faut que je te montre.
D’autorité, il lui prit la main et l’entraîna à la course vers le fond de la grotte. Là où il savait que les petits n’oseraient pas s’aventurer.
À peine le tunnel passé, l’obscurité retomba autour d’eux et Bertille freina son élan. Le souffle aussi court qu’elle, Petit Pierre s’immobilisa mais garda ses doigts dans les siens.
— C’est encore loin ? hurla-t-elle.
Malgré le bruit sourd des cascades et de la rivière qui grondait, sa voix rebondit sur les roches, figurant la profonde et haute galerie dans laquelle ils venaient d’entrer.
— En fait… répondit-il en l’attirant à lui.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Ben, je…
Pas facile de trouver une bouche dans le noir. Il visa au hasard, accrocha une peau douce sous ses lèvres. L’arrondi d’une joue. Il avait raté son effet. Pour comble, Bertille se mit à rire en le repoussant doucement.
— Alors, c’était ça ton secret ? Tu es amoureux de moi ?
Petit Pierre se tétanisa.
— Qu’est-ce que tu vas chercher ! Je voulais juste te rassurer, c’est tout.
Retrouvant son sérieux, la fillette lui reprit la main dans le noir.
— Excuse-moi, je ne voulais pas te blesser. C’est que je ne m’y attendais pas. Tu n’es pas fâché au moins ?
Il ne répondit pas. Elle se rapprocha de lui.
— Si tu vises tout droit cette fois…
Le cœur de Petit Pierre s’emballa.
— Vrai ?
— Vrai…
Il approcha son visage tout doucement. C’est au moment
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