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Elora

Elora

Titel: Elora Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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où leurs lèvres se rejoignaient qu’il entendit le chant. Celui de son rêve. Il pressa Bertille plus fort contre lui, certain que la magie était tout entière dans ce baiser. Mais de nouveau elle le repoussa.
    — Tu entends ? Qu’est-ce que c’est ?
    Petit Pierre se figea. Couvrant le fracas, la voix était infiniment mélodieuse, mais elle ne venait pas de l’endroit qu’ils avaient quitté. Il déglutit. Son cauchemar semblait vouloir rejoindre la réalité. Il s’en glaça, mais se gorgea d’importance pour impressionner Bertille.
    — C’était ça que je voulais te montrer, mais j’ai oublié la torche. Une prochaine fois…
    Elle se laissa entraîner par le bras, à regret. Sitôt qu’ils enfilèrent le tunnel, le chant cessa comme il avait commencé. En face d’eux tremblaient les lueurs diffuses des torches. Elles rassurèrent suffisamment Petit Pierre pour l’inciter aux confidences.
    — Tu me jures de garder le secret ?
    — Du baiser ?
    — Aussi…
    — Je jure.
    — Parce que si mon père apprenait que je me suis aventuré au-delà des limites, il serait très très fâché…
    — Je jure, je t’ai dit ! Alors, c’était quoi ?
    Il prit une grande bouffée d’air et lâcha dans un souffle, au risque de l’entendre s’esclaffer :
    — Une femme-serpent.
    Pendant quelques secondes, seuls les bruits étouffés de la communauté leur parvinrent. Puis Bertille rompit le silence d’une voix assourdie par sa propre angoisse :
    — Tu l’as vue ?
    — Comme je te vois, mentit-il, servi par l’ombre.
    Bertille ne perçut pas la nuance. Elle lui agrippa les bras à pleines mains.
    — Il ne faut pas que tu retournes là-bas. C’est dangereux. Très.
    Il sursauta.
    — Pourquoi ? Qu’est-ce que tu en sais ?
    — J’ai surpris un jour ton père qui en parlait.
    — Mon père ? s’étrangla Petit Pierre, interloqué.
    Qu’est-ce que son père venait faire dans cette histoire ? Était-ce à cause de lui que cette créature l’attirait ?
    Bertille prit une voix grave :
    — Elle s’appelle Mélusine et hante la contrée depuis des siècles, au gré des cours d’eau. C’est une démone, Petit Pierre. Une démone, tu entends. Je n’ai retenu que ça de ce qu’il en disait. Ça et une chose encore, terrible. Je crois que c’est à cause d’elle qu’autrefois ton père a rejoint notre communauté.

10
     
    Alexandre VI avait toujours aimé les jolies femmes. Sa prime jeunesse s’était terminée entre les bras de sa nourrice dont les seins plantureux avaient accueilli ses lèvres d’enfançon. Il l’avait culbutée sans scrupules le jour où, impérieusement, le simple fait de s’en souvenir lui avait dressé le vit entre les cuisses. Il venait tout juste d’avoir onze ans. Son tempérament n’avait jamais failli depuis.
    Ce jourd’hui, malgré ses yeux noirs et gourmands, sa bouche sensuelle et son front altier sous le crâne chauve, il n’était plus qu’un homme de soixante-deux ans. Le pape ne se berçait pas d’illusions. Les trois maîtresses qu’il entretenait accordaient plus d’attention à sa charge qu’à son physique. Il ne s’en offusquait pas. Il jouissait. Avec plus d’ardeur encore qu’autrefois, inquiet d’un jour la voir disparaître. Son médecin lui affirmait le contraire, arguant qu’il était au meilleur de sa forme, d’une exceptionnelle résistance aux pressions et qu’il n’existait rien de mieux pour entretenir une bonne tension que le complot et l’intrigue.
    À ce titre, il était servi.
    Alexandre VI reposa la plume dans l’encrier, replia la lettre qu’il venait d’écrire à Orso Orsini et chauffa un bâtonnet de cire. Il la cacheta du revers de la bague imposante qu’il portait à l’annulaire, sous le coup encore de la colère. Ensuite de quoi, il se repoussa dans son fauteuil et perdit son regard dans une des fresques qui ornaient son vaste cabinet de travail. Il les avait commandées à Pinturicchio. Des femmes. Partout. Installées pompeusement sur des sièges de marbre, et vers lesquelles des savants levaient leur regard. Ces allégories cachaient en leur sein nombre de secrets. Celle de la rhétorique dissimulait un camérier près de la petite porte menant à ses chambres dites de repos, dans lesquelles il forniquait avec l’une ou l’autre. À ses côtés, la dialectique, la grammaire, la musique, la géométrie, l’astronomie et l’arithmétique avaient les visages d’êtres

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