Elora

replaçant une mèche rousse derrière l’oreille. Fanette avait gagné.
    C’est du moins ce qu’elle pensait, car, dans une autre aile du château octogonal, Enguerrand faisait part à sa mère de l’accord qu’il avait passé avec le meurtrier de son épouse et d’un autre gardé secret, destiné à mettre enfin en paix une part de sa mémoire.
    Étendu sur sa couche au premier étage du corps de garde de ce même castel, Dumas regardait avec tendresse tressauter le ventre rebondi de la femme qu’il aimait. Elle venait d’accepter qu’il la marie, sans lui reprocher ces longs mois d’espoir durant lesquels, malgré son état et les ragots, il avait eu peur de la demander. Il ne lui avait pas dit que sa décision avait été emportée par une confidence. Celle d’Enguerrand concernant le crime de Luirieux, sur Mounia et leur futur enfant. À l’instant où il promettait au chevalier de l’aider dans sa vengeance, Dumas avait compris que rien ne serait plus précieux à ses yeux que cet enfant à naître. Et qu’il faudrait éradiquer jusqu’au dernier cette bande d’égorgeurs afin qu’ils ne le lui prennent pas ainsi que Fanette l’avait été.
     
    Dressé sur sa paillasse en plein cœur de la montagne, Petit Pierre venait, lui, de s’éveiller en sursaut. Mais cette fois, il n’était plus seul face à son cauchemar. Il tendit la main, secoua l’épaule de Bertille qui dormait à côté. Les torches éteintes pour les économiser, la pénombre régnait dans la grotte de Choranche. Sans mot dire, la fillette roula pour se rapprocher et se pelotonna contre lui. Cela suffit à le rassurer. Refusant l’appel de plus en plus pressant de Mélusine, il se félicita d’avoir trouvé le courage de lui révéler toute la vérité.
    À quelques pas de là, Mathieu venait de la même manière d’apaiser Celma. Sa compagne avait eu une vision. Une vision terrible qui l’avait bouleversée. Si les compagnons d’exil de Fanette n’étaient pas revenus la veille au campement pour annoncer que cette dernière avait disparu, sans doute aurait-il minimisé ce que la devineresse prophétisa. Mais Mathieu ne pouvait ignorer le danger. Il demeura toute la nuit l’oreille aux aguets, se promettant dès le lendemain de chercher avec Villon une autre issue à cette grotte pour ne pas y rester emmurés.
     
    Au Vatican, dans l’aile des appartements Borgia mise à la disposition de Djem et protégée par des janissaires, la danse lascive de deux corps mêlés troublait le silence. Son accoutrement de valet jeté au pied du lit, Hélène se donnait à l’homme qu’elle n’avait cessé d’aimer, forte de la certitude que son déguisement était parfait.
    Elle se trompait.
    Par un œil-de-bœuf qui s’ouvrait silencieusement dans une des fresques murales que Pinturicchio avait peintes à sa demande, un homme les regardait. Un homme qui, avant de jouir de la jolie Hélène ainsi qu’il l’avait décidé, avait espéré s’exciter de ses turpitudes à la faveur des chandelles. Un homme de Dieu qui comprenait le mensonge mieux qu’aucun autre et qui, à cet instant, choisit de préserver leur secret. Non qu’il fût touché par leur grâce, mais parce que cela servait ses intérêts. Et sa curiosité. Car s’il comprenait aisément que cette belle jeune femme cambrée sur le vit de Djem était la véritable Hélène de Sassenage, celle qu’on lui avait présentée possédait un mystère beaucoup plus attrayant à dévoiler. Quant au roi de France, s’il avait prévu d’utiliser à ses fins cette idylle, Alexandre VI Borgia saurait y remédier. Tout le monde le savait. Un valet était bien plus facile à faire disparaître qu’une damoiselle bien née…
     
    Cette même nuit, en plein cœur de Rome, dans le palais qu’elle occupait avec Aymar de Grolée et Jacques de Sassenage, Elora fut réveillée par un hurlement sous sa fenêtre. Elle se leva, ouvrit les volets et, à la faveur de la lune pleine, se pencha pour regarder. Un jeune gueux se mourait sur les pavés, la main ensanglantée sur le ventre. Elora entendit s’éloigner la cavalcade de ceux qui l’avaient agressé. Malgré la douleur qui tordait son visage et bien qu’elle ne l’eût jamais rencontré auparavant, elle sut qui il était. D’un regard elle balaya la ruelle. Personne, à part un petit singe qui revenait vers son jeune maître en poussant des cris craintifs. Sans hésiter, Elora enjamba le parapet et sauta dans le vide.