Elora
Malgré les deux étages qui la séparaient du sol, elle se reçut sans mal et se précipita au chevet du blessé.
Le jeune garçon avait fermé les yeux, mais elle savait que son destin n’était pas de mourir là, dans la puanteur de cette ruelle. Repoussant l’animal qui, inquiet, lui soulevait les paupières, Elora s’agenouilla près de lui, écarta ses mains molles et sales et posa une des siennes à plat sur l’estafilade. Une intense lumière bleue naquit sous ses doigts jusqu’à peu à peu le baigner en entier. Lorsqu’elle s’éteignit, il bascula violemment vers l’avant, la poitrine sifflant en quête d’air. Il jura entre deux quintes de toux et finit par cracher un caillot de sang aux pieds velus du singe qui se tordait les poignets d’angoisse. L’animal grimpa aussitôt le long du bras pour se percher sur son épaule, un rictus à la bouche.
— Ça va, Bouba, ça va ! le rassura-t-il avant de fixer Elora. T’es quoi au juste ? Un ange ? Comment t’as fait ça ?
— Cela fait beaucoup de questions, Khalil.
Il béa de la bouche.
— Tu connais mon nom ?
— Et deux ou trois choses dont tu n’as pas seulement idée, approuva-t-elle dans un bâillement en se relevant. Rentre chez toi, ça vaut mieux.
— J’ai pas de chez-moi.
— Si tu le dis…
Le temps des réponses n’était pas venu pour lui. Elora leva les yeux vers sa fenêtre. Sitôt évoqué en pensée ce lit confortable qui l’attendait, elle s’éleva du sol, portée par un souffle léger qui laissa le jeune gueux médusé. Sans qu’il en ait conscience, par le simple fait de leur rencontre, une part de l’enfance d’Elora venait, elle aussi, de s’envoler.
— À charge de revanche, lui dit-elle en guise de bonsoir avant de refermer ses volets.
Oui, pour beaucoup d’êtres, cette nuit-là fut longue. Mais moins que pour Hugues de Luirieux qui, avec le retour d’Enguerrand, voyait ressurgir le passé. Avant de rouler, ivre mort, sous la table jonchée de bouteilles vides, il se demanda ce qui serait le pire pour Enguerrand de Sassenage. Continuer de croire à la mort de Mounia ou apprendre qu’en réalité il ne l’avait pas assassinée…
12
Recueillie dans une auberge de Romans, la nouvelle atteignit la grotte trois jours plus tard. Revenu du Nouveau Monde avec le sire Colomb, un seigneur grenoblois rentrait au bercail, chargé d’or. Craignant une attaque, il attendait le pire de l’hiver pour longer l’Isère, avec un simple chariot à bœuf et trois hommes pour l’escorter.
Les femmes vaquaient à la vaisselle, les enfants jouaient à l’abri d’un vent d’est glacial qui charriait de lourds nuages blancs. La neige épaisse et collante, celle qui barrerait définitivement les routes et les contraindrait à hiverner, était en chemin. C’était l’affaire d’un jour, peut-être deux.
Villon avait réuni le conseil. Quarante-sept valeureux brigands. Et Celma. Assis en cercle dans un recoin de la salle d’entrée, sous une arche de pierre.
D’ordinaire, ils n’étaient pas longs à se décider. Mais ce jourd’hui, la prédiction de la devineresse pesait lourdement et Villon avait beaucoup de mal à rétablir le silence. Le clan était divisé.
— On peut pas laisser passer cette chance, Villon. Un chargement pareil ! Et si peu gardé ! s’insurgea Briseur, un colosse que rien n’impressionnait jamais sinon l’idée de fortune.
Des exclamations fusèrent. Ils étaient nombreux à soutenir cette initiative. Ce fut un dénommé La Malice, malingre doté d’une ingéniosité sans pareille qui exprima le fond de leur pensée :
— Du temps de Fanette…
Aussitôt un silence de mort s’abattit sur le cercle. La Malice haussa les épaules.
— Ben c’est vrai, quoi…
Villon comprit en cet instant combien elle avait imprimé sa marque en eux. Chacun avait des raisons de la haïr, mais autant de louer son sens tactique et sa témérité. Il se dressa et leur fit face.
— Celma nous recommande d’abandonner. Pas une seule fois par le passé elle ne s’est trompée. Toi, Grogniar, ne t’a-t-elle pas dit que tu aurais la jambe brisée par un éboulis ? Et toi, Tadam, l’oreille arrachée ? Benoît, que ta femme mourrait en couches si tu l’engrossais ? Emportés par les moqueries de Fanette, l’avez-vous crue alors ?
Les concernés baissèrent le nez. Villon appuya son avantage.
— Vous connaissez Fanette autant que moi. Si elle a abandonné
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