Elora
ne ressortirait rien de positif à s’entêter. La rouerie était son arme favorite. Il l’utilisa en signant un traité qui, entre autres points, garantirait l’avancée et le ravitaillement de l’host dans sa reconquête de Naples. Les exigences principales du roi, bien évidemment, n’y étaient pas évoquées.
Qu’importe à ce dernier. Installé depuis le matin au Vatican, il espérait encore, et décida après le déjeuner de ce seize janvier de se rendre au-devant du pape qui venait de quitter le château Saint-Ange par la coursive des remparts.
Alexandre VI, entouré de ses conseillers et de son fils, fit semblant de ne pas le remarquer, agenouillé sur sa route. Il le dépassa en regardant ailleurs. Fit de même une deuxième fois, plus loin, avant de juger qu’il ne le pourrait indéfiniment.
Charles VIII avait l’œil noir de rancune lorsque enfin le pape se décida à le relever.
Bouillant de fureur sous son masque de civilité, le roi décida aussitôt de s’accorder une revanche tout en calant son pas sur celui de son ennemi. Après quelques banalités d’usage, bien loin des considérations de ces mois derniers, il réclama le titre de cardinal pour Guillaume Briçonnet qui, l’accompagnant en cette promenade, rosit de voir ses espoirs matérialisés. Le roi laissa le pape promettre avant de s’embraser. Pourquoi attendre ? Ne valait-il pas mieux s’acquitter de la cérémonie de création tout de suite puisque Briçonnet se trouvait là, loin encore des aléas d’une croisade ?
Alexandre VI, piégé, feignit un malaise, s’appuya lourdement au bras de son fils.
La véritable guerre, celle de deux hommes emplis des mêmes ressentiments, venait de commencer. Plus d’armée entre eux cette fois. Mais un combat impitoyable de fourberies réciproques et de rouerie.
Le pape se retira dans la première pièce qui se présenta.
Deux heures plus tard, Charles VIII y faisait encore antichambre, bien décidé à obtenir ce qu’il voulait.
Alexandre VI ne put que céder. En toute hâte, il réunit un consistoire dans la salle du perroquet. Pris au dépourvu, il demanda à César d’ôter sa cape pour en couvrir les épaules de Briçonnet et au cardinal de Sainte-Anastasie d’aller quérir un chapeau en ses appartements. Mais ce ne fut pas encore suffisant au roi Charles, rancunier. Dans l’heure qui suivit, paradant dans les corridors avec son favori pour mieux narguer les soutiens du pape, il fit remplacer la garde suisse par la sienne, écossaise, mettant toutes les portes du Vatican sous sa seule autorité.
Ne pouvant s’y opposer, le pape se calfeutra dans ses appartements pour ruminer sa rage impuissante. Il savait que son ennemi ne s’en tiendrait pas là. Mais partie gagnée n’était pas la guerre. Et bien fol celui qui tenait tête à un Borgia.
Le roi, de même, se prépara à la prochaine joute.
Il lui restait d’autres faveurs à obtenir.
Dont une qui lui tenait particulièrement à cœur. Celle d’enfin rencontrer le prince Djem.
Il trouva le prince fort occupé dans la vaste salle de réception qu’il habitait. Le mobilier avait été repoussé contre les murs, les tapis roulés, et l’endroit transformé en champ clos. Les familiers de Djem avaient repris là un entraînement qu’on leur avait interdit au-dehors. À l’instant où il passa la porte, les cimeterres s’entrechoquaient dans un ballet de turbans et de pantalons bouffants qui arrêta le roi sur le seuil. Il les regarda évoluer un moment, s’attarda sur les mouvements malhabiles d’un jeune Turc qui peinait sous le poids de l’arme avant de demander lequel était Djem. Jacques de Sassenage le lui désigna, dissimulant au possible son émoi en reconnaissant sa fille en ce combattant emprunté que le prince guidait dans ses ébauches guerrières. Le roi hocha la tête à plusieurs reprises, une moue à la bouche, admiratif des conseils et de la patience de cet homme dont depuis tant d’années il avait imaginé les traits. Lorsque Djem les tourna enfin vers lui, ce fut l’azur de ses yeux, peu commun en vérité, qui le subjugua. Djem claqua des mains. Les lames retombèrent. Le silence se fit. Quelques secondes. Le temps pour le roi de réunir les siennes et d’applaudir au spectacle qui venait de lui être donné. Djem savait par Jacques et Aymar à quoi ressemblait son sauveur et, de fait, sa difformité était telle qu’on lui avait décrite. En cet instant pourtant il ne
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