Elora
auprès du juge, du procureur, du seigneur de Clermont, de Sidonie de La Tour Sassenage et des notables de la ville. Nombre d’autres seigneurs avaient aussi fait le déplacement, malgré le mauvais état des routes et du temps, ravis de mettre un terme, enfin, à des années d’insécurité dans la région. Des barrières interdisaient aux badauds d’approcher trop près, mais ils poussaient tant pour glaner les meilleures places que Hugues de Luirieux avait dû renforcer le périmètre. Usant de la pointe de leurs hallebardes, les soldats s’assuraient que personne ne passerait, ami, curieux ou rancunier. Il s’était engagé à ce que cette exécution fasse date et entendait bien ne rien laisser la perturber.
Il ne tourna pas davantage la tête lorsque, encadrée d’une forte troupe de cavaliers armés, la première charrette amena les prisonniers. Il se contenta de noter qu’un méchant nuage assombrissait l’azur, qu’un vent plus froid encore s’infiltrait de chaque côté de l’église collégiale devant laquelle ils étaient installés et se mordit la lèvre en pensant que la fin de la journée les verrait glacés.
Fanette était là. Avec Celma, Briseur et La Malice. Ils avaient repéré les soldats à leurs manières inquisitrices, les voleurs, à leurs façons de trop bonnes gens. La gorge nouée, le cœur battant, refoulant leur chagrin, ils détaillèrent le premier convoi. Debout, mains liées derrière le dos dans le chariot, les femmes, leurs amies, leurs comparses, ne les virent pas. Elles psalmodiaient des prières entre leurs dents serrées. Sur leurs joues, des larmes séchées semblaient demander un pardon que crachats et seaux d’urine jetés sur leur passage refusaient. Parvenues devant l’estrade, elles descendirent l’une derrière l’autre. Remontèrent de même les trois marches d’escalier. Dignes. Une seule fut emportée par la panique. Prise de nerfs, elle voulut s’échapper, dévaler l’escalier. Deux soldats l’arrêtèrent. Elle se débattit sous les moqueries. On la laissa haranguer la foule, quémander pitié, telle une furie désespérée. Elle n’avait tué personne, lésé personne, elle avait juste aimé. Aimé un homme. Un voleur, un paria. Elle n’était coupable que de cela. D’amour. Et de ne pas être bien née. Fanette savait qu’elle disait vrai, mais nul en cette place ne lui accorda crédit. On se mit à rire pendant qu’on la traînait, à la traiter de putain qui n’avait que ce qu’elle méritait. Le bourreau l’assomma d’un coup de bâton derrière la nuque. Elle s’écroula. On lui passa la corde au col, la maintint debout de force pour qu’elle ne s’étrangle pas trop vite. Trop tôt. Mesurer l’effet. Le prévôt y tenait. Toutes ensemble. En même temps. Chaque fournée. Lorsqu’elles furent alignées face aux gens de Romans, le silence se fit, brusquement, comme avant une tempête. Seul le vent continua de siffler, le ciel de noircir et le cœur de Fanette de s’étrangler de remords. Elle baissa la tête, sentit une lame lui piquer les côtes. La voix de Celma, douloureuse mais déterminée, contre son oreille, lui vint par-derrière :
— Jusqu’au dernier !
Fanette regarda. Deux jours durant. Chacun de ceux qu’elle avait condamnés. Tour à tour précipité dans la mort par cette trappe qui basculait sous leurs pieds. Leur langue démesurément tirée pour chercher un air qu’ils ne trouveraient plus, les battements désordonnés des jambes des femmes, le vit bandé dans les chausses des hommes. Elle entendit les hourras des vivants. Et au-delà, ceux des trépassés. Leurs rires d’hier dans la grotte, leurs plaisanteries, leurs étreintes, leurs joies, leurs peines. Tout un chapelet d’années de complicité, de solidarité dans leur misère. Tout ce qu’elle avait construit avec l’envie de détruire. Tout ce qu’elle avait détruit. Tous ceux qu’elle avait détruits.
Lorsque le dernier fut pendu, la foule se dispersa, soulagée, éreintée d’émotions contradictoires. La neige commença à tomber. Celma, Briseur et La Malice emboîtèrent le pas aux retardataires. Ils avaient échappé à la vigilance des soldats. Fanette les regarda s’éloigner tous trois. La mine basse, mais soudés d’une même détresse, ils ne faisaient pas attention à elle. Et quand bien même. Elle n’aurait plus jamais sa place. Elle ne l’avait même jamais eue. Mais elle pouvait encore se racheter. Donner à
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