Elora
vit que beauté. Parce que sa seule présence lui évoquait, avec la liberté, tous ces lieux de chevauchée dont il avait été privé. Il marcha vers lui la main sur le cœur, le menton relevé, mais, parvenu à quatre pas, il posa un genou à terre avec humilité.
Cette attention toucha le roi. Il s’approcha, lui pressa l’épaule, accrocha ce regard qui se levait.
— Point de cela entre nous, prince. Je viens en ami, pas en monarque. Et quand bien même. Votre égal je fus, votre égal je reste. Relevez-vous.
Djem se redressa, sourit, ému de cet instant qu’il avait espéré depuis tant d’années, et accepta, devant les seigneurs français médusés, l’étreinte fraternelle que le roi venait de lui concéder.
Il ne fallut que quelques minutes pour qu’en ordre et en silence, les janissaires quittent la salle et que les serviteurs réinstallent tapis et coussins de sol. Le roi y trouva place sans sourciller, ses familiers de même. L’un d’entre eux fixait avec insistance Hélène, qui s’en étonna. Le visage de cet homme lui évoquait quelque souvenir, mais elle aurait été incapable de dire lequel. Persuadée qu’il ne pouvait la reconnaître avec cette peau matifiée de brou de noix et cet accoutrement, elle lui tourna le dos, indifférente, avant de se couler au milieu des hommes. Le lendemain même du départ d’Elora, le roi ayant pris ses quartiers en ville, Djem avait jugé qu’il était temps de la présenter aux siens en toute officialité. Des nez s’étaient tordus, des yeux s’étaient agrandis, des bouches ouvertes sur de la surprise, d’autres fermées sur de l’effroi. Djem n’avait tenu compte d’aucune de ces réactions. Il avait arraché le turban qui masquait la chevelure de sa belle, essuyé de sa manche son visage de femme et, la prenant aux épaules, l’avait plaquée contre son torse.
« Frères, mon exil, ma souffrance, mes doutes, mes désillusions, mes espoirs et mes trahisons, vous les avez acceptés sans vous plaindre quand vous pouviez m’abandonner et rejoindre Bayezid. Vous pouvez ce jourd’hui partager mon secret de la même manière. Je ne vous l’ai pas caché par manque de confiance, mais pour la protéger de Lucrèce Borgia. Voici la véritable Hélène de Sassenage. Mon épouse future, ma sultane. La femme que j’ai choisie devant Allah le Grand pour régner avec moi à la fin de ma guerre. Elle n’intégrera jamais le harem. Jusqu’en Istanbul, elle restera sous son fard et, comme vous, combattra à mes côtés. Parce qu’en ce jour comme hier, malgré votre affection et votre amitié, elle fut et demeure ma seule raison de vivre. »
« Ma seule raison de vivre », avait répété Djem avant d’embrasser le haut du crâne de sa promise. Nassouh s’était écarté, Sinan Bey aussi. Hélène était venue s’asseoir entre eux, avait accepté le narguilé qu’un autre lui avait tendu. Elle avait aspiré une bouffée. S’était étouffée. Djem avait ri, puis les autres, puis elle à son tour. Ce jourd’hui, ils ne la voyaient plus comme une femme, mais comme celle qui avait tout sacrifié, au même titre qu’eux. Pour Djem. C’était suffisant pour rabattre us et coutumes. À Rome, ils n’étaient plus à cela près.
Cela n’avait pas fait oublier à la damoiselle sa tristesse du départ d’Elora, sa douleur de ne jamais revoir son fils Constantin, mais au moins elle n’avait plus à jouer les serviteurs zélés. Quant à l’ennui, il était sorti de son quotidien. Djem voulait la voir victorieuse à ses côtés. Lui apprendre à se battre était donc devenu une nécessité. Parler couramment le turc aussi. Elle avait eu le temps de se familiariser avec la langue et échangeait à présent avec les compagnons de Djem dans chacune des langues qu’ils parlaient. Hélène lança donc une conversation, achevant ainsi de déstabiliser le seigneur français qui reporta son attention sur celle du roi et de Djem.
Cet échange les mena fort tard dans la nuit. Les accords signés prévoyaient que Djem accompagnerait le roi jusqu’à la forteresse de Terracine, où, de nouveau il serait gardé, pour protéger le prince et Rome des représailles turques. Bien évidemment il devrait être rendu au pape sitôt que les Français auraient quitté l’Italie. Pour se garantir, le pape exigeait cinq cent mille ducats, et quarante otages parmi des barons et prélats français, sans compter qu’il garderait la pension de quarante
Weitere Kostenlose Bücher