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En ce sang versé

En ce sang versé

Titel: En ce sang versé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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d’enfants. Le fieffé gredin ! Les joues poupines de Guy de Trais en tremblèrent de rage.
    Il jeta un regard énamouré à Énora, sa mie chérie, qui berçait leur enfant nouveau-né. Quel admirable spectacle, le seul de nature à lui refroidir la bile en ce moment, et expliquant qu’il ne quitte guère les appartements de sa délicieuse, espiègle, et sensuelle épouse. Rien ne paraissait capable d’obscurcir son humeur joyeuse. Pourtant, derrière ce haut front épilé, cette masse parfumée de magnifiques cheveux frisés, d’un intense cuivré – couleur dédaignée par ces benêts vulgaires de Francs qui y voyaient une marque presque démoniaque – se dissimulait un des esprits les plus vifs et surtout les plus obstinés qu’eût rencontrés Guy de Trais. Énora descendait en droite ligne d’une prestigieuse lignée de guerriers celtes pour lesquels la peur demeurait un sentiment étrange et déplacé, et surtout honteux.

    Adoptant le breton afin que nul ne puisse saisir leur conversation, Énora murmura :
    — Je vous sens fort marri, mon aimé. Ah ça, ces bouffeurs de sangliers 2 vous gâteraient-ils l’humeur ?
    — Ils m’insupportent ! Ma douce, je prie chaque jour pour être rappelé enfin en notre magnifique Bretagne. J’étouffe ici. Je ne comprends rien aux gens du cru. De plus, ils me détestent.
    Elle lui destina un de ses adorables sourires et il se leva afin de baiser ses paupières qui s’abaissèrent sur son regard vert émeraude.
    — Peut-être notre bien-aimé nouveau suzerain, Arthur, exaucera-t-il vos… nos vœux. Quoi qu’il en soit, cette prestigieuse charge de bailli à vous confiée par son défunt père, Jean II, était une belle marque d’estime à votre endroit. Quant à l’exécration de la populace, peu m’en chaut. Des paysans sans éducation, envieux et aigris par tout ce qui ne leur ressemble pas ! Même cette famille de Vigonrin, nos belles naissances locales ! Dieu du ciel ! Entre le gras et niais 3 Eustache de Malegneux dont les quartiers de noblesse tiennent surtout à l’épaisseur de la fortune familiale, et les deux baronnes jeune et vieille qui m’évoquent des génisses coiffées, nous voilà bien pourvus en personnes de haut !
    Énora pouffa et reprit, toujours en breton :
    — Ah quelle vilaine langue que la mienne ! À ma décharge le pesant ennui de nos vies céans, ennui que seuls votre présence et notre petit Arthur me font oublier.
    Il déposa un baiser sur sa bouche offerte et caressa le front de son fils.
    — Quoi qu’il en soit, vilaine langue, disais-je, continue-t-elle, puisque madame Mahaut est de belle noblesse et fort jolie de sa personne. Le qualificatif de jeune taure dans son cas relève de l’abus de langue. Guy, mon mi… pensez-vous… Elle serra davantage le nouveau-né endormi entre ses bras en un geste inconscient de protection : Pensez-vous que la baronne Mahaut soit véritablement coupable des crimes monstrueux dont sa famille l’accuse ? Avoir enherbé son beau-père, son mari et tenté de faire passer de vie à trépas son fils Guillaume ? Avoir eu recours, de surcroît, à la sorcellerie pour mener à bien ses odieux desseins ?
    Énora se signa. Elle souleva la croix nimbée 4 qui pendait à son cou, remarquable dentelle d’or au centre de laquelle s’inscrivait un anneau figurant la Sainte-Hostie, et la plaqua sur le front d’Arthur.
    — Je ne sais. Je n’ai pas encore procédé à son interrogatoire. Le mire Méchaud, seul être que je jugeais à peu près sensé dans cette bourgade, s’est dérobé d’étrange manière. Il hésitait, embarrassé en diable, lorsque je lui ai demandé son sentiment, puisqu’il soigne la famille depuis des lustres. Tout juste a-t-il condescendu à m’avouer que le trépas du jeune Guillaume lui avait semblé inéluctable, et avoir songé que son rétablissement procédait d’un véritable miracle.
    — Hum… réfléchit Énora. Que l’on ait tenté d’occire le jeune baron ne signifie pas pour autant que Mahaut, sa mère, soit derrière cet acte terrible. Elle aurait beaucoup à y perdre, à moins d’imaginer une maudite privée de sens.
    — La baronne mère, Béatrice de Vigonrin, soupçonne madame Mahaut d’avoir formé le projet de les enherber tous, les uns derrière les autres, François son père d’alliance, François son époux, puis Guillaume son fils, avec l’intention de finir par Agnès, sa dernière enfante, et

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