En ce sang versé
elle-même.
— Fichtre ! ironisa Énora. On ne pourra reprocher à Mahaut de rechigner à la besogne. Toutefois, mon mi, cette avalanche de victimes épargnées de justesse grâce à la sagacité et la dénonciation de madame Béatrice ne répond pas à mon interrogation : madame Mahaut se montrerait-elle sotte au point d’occire son fils, qui lui garantit belle aisance et appréciable confort jusqu’à son âge d’homme, au moins ?
— Vous me troublez, mon ange, admit Guy de Trais, ses joues poupines se gonflant d’embarras.
— Et puis, en admettant qu’elle soit parvenue à faire passer de vie à trépas deux représentants adultes de la gent forte, François père et François fils, comment expliquer la maladresse dont elle a soudain fait preuve en… ratant son garçonnet ?
— En réalité, l’alarme me vint d’Eustache de Malegneux, précisa le bailli de Nogent-le-Rotrou. Selon lui, l’échec que vous évoquez serait volontaire. Une sorte de faux enherbement, calculé afin que Guillaume réchappe des griffes de la mort. Madame Mahaut aurait ainsi espéré détourner les soupçons d’elle, puisque, en effet, elle aurait tout à perdre du trépas de son fils, seul hoir 5 direct des biens et du titre. Ses véritables cibles auraient été sa famille d’alliance.
— Le raisonnement est bien trop tortueux pour ce pauvre Malegneux qui ne reconnaît pas sa tête de son fondement 6 , hormis lorsqu’il s’agit de compter ses deniers*, domaine dans lequel il excelle si j’ai bien ouï. Du Béatrice de Vigonrin franc jus, m’est avis.
— Pensez-vous qu’elle m’escobarde ?
— Terme exagéré, sans doute… quoique… Soyez prudent mon doux, je vous en conjure, et n’avancez qu’à pas comptés. Permettez-moi cette vipérine médisance : si d’aventure madame Mahaut périssait sous la lame du bourreau, ce qui ne manquerait pas de lui échoir dans le cas où sa culpabilité viendrait à être reconnue…
— Eh bien ? la pressa son époux.
— Et si le répit accordé au petit Guillaume par la mort se révélait temporaire… qui hérite des biens et du titre… ?
— Étienne, le fils d’Agnès de Malegneux, née Vigonrin, conclut Guy de Trais dans un soupir consterné.
— De juste.
— Vous ne pensez tout de même pas qu’Agnès ou Eustache ou même la baronne mère projetteraient d’occire le petit baron ? toussota-t-il, stupéfait.
— Cette hypothèse, pour ignominieuse qu’elle soit, ne me semble pas plus insensée qu’une culpabilité de madame Mahaut. Ah ça, si cette dernière venait à être prouvée, j’en resterais bée-gueule 7 , je vous l’affirme !
Elle tendit vers lui sa jolie main au pouce et à l’index ornés de bagues serties de grenats et d’opales et poursuivit d’un ton un peu peiné :
— Mon aimé, n’oubliez jamais ce que vous me déclarâtes plus tôt : ils ne nous aiment pas. En revanche, ils n’hésiteront pas à nous présenter des mines affables ou serviles afin que nous servions leurs desseins, quitte à nous jeter en pâture aux chiens ensuite. De grâce, gardez à l’esprit que Mahaut est une Leu de Cérainville, une très vieille et très prestigieuse noblesse de Troyes, pas un paltoquet noblaillon tel Malegneux, et qu’elle est la nièce de madame Constance de Gausbert, elle-même cousine du pape et meilleure amie de madame de Valois, sœur d’alliance du roi. Plaise à Dieu que notre nouveau suzerain Arthur nous rappelle bien vite auprès de lui. Aussi, ne lui gâchons aucunement l’humeur en lui occasionnant une délicatesse avec Philippe le Bel, tout cela pour plaire à un Malegneux dont la véritable place est derrière une écritoire, une plume entre ses doigts tachés, si du moins il sait tourner une lettre.
Guy de Trais pouffa à l’évocation d’un Eustache de Malegneux relégué derrière une petite table de secrétaire.
— Ma tendre, vous me voyez tout ébaubi 8 ! Vous êtes de la trempe des conseillers les plus retors, s’émerveilla le bailli.
Elle plissa les paupières, amusée, et le détrompa d’une moue mutine, rectifiant :
— Oh, bien plus redoutable que cela ! Je suis de la trempe des femmes amoureuses. Rien ne nous résiste pour aider et protéger notre aimé. Si vous saviez la mine d’informations que l’on déterre sous les clabaudages de commères ou de servantes. Mes jolies oreilles savent se faire très longues.
De fait, Énora aimait son mari, bien que le
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