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En ce sang versé

En ce sang versé

Titel: En ce sang versé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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à conserver des manières paternelles. Après tout, il avait décidé qu’elle deviendrait sa fille d’alliance.
    Mahaut ne s’était jamais leurrée sur ce point : elle avait épousé François le fils, par amour du père. Le trépas de ce dernier l’avait dévastée, la rendant veuve inconsolable avant le décès de son légitime époux. Au fond, François père avait été pleuré par deux épouses désespérées. Par respect pour Béatrice de Vigonrin et pour Agnès, Mahaut avait su dissimuler son accablement. La mort de François fils lui avait enfin permis de l’exprimer. Elle pouvait sangloter, gémir, se tourner des nuits entières dans l’insomnie, l’attribuant à sa douleur de nouvelle veuve. Étrange. Elle avait conservé une mémoire aiguë de chaque détail, chaque instant passé avec François père. En revanche, ses années de mariage ne lui laissaient presque aucun souvenir. Un vague désordre de discussions sans intérêt, de nuits d’indifférence, une cohabitation somme toute confortable avec un homme pour qui elle éprouvait un peu d’amitié et de tendresse, rien de plus.

    Elle ouvrit le recueil des lais de Mme Marie de France 1 qui lui chaviraient le cœur à chaque lecture, et les larmes dévalèrent de ses paupières. Elle se détestait de la jalousie sans vilainie 2 qu’elle avait toujours éprouvée envers Béatrice. Mahaut aurait volontiers offert la moitié de sa vie pour se trouver aux côtés de François père, pour s’épanouir dans son amour, dans sa couche, en place de Béatrice. Pis que tout : les deux anciens conjoints, vieux amants passionnés, seraient réunis dans l’au-delà. François avait adoré sa femme, même s’il l’avait amplement mais discrètement cocufiée, afin de ne la jamais humilier. Elle, Mahaut, resterait seule, pour toute éternité, loin de son unique amour de femme, si du moins Dieu lui faisait la grâce de ne la point réunir avec François fils, qui l’avait affreusement ennuyée le temps de leur mariage.
    Cependant, elle devait vivre. Vivre encore pour Guillaume, son tendre, son adorable fils qu’elle chérissait plus que tout. Elle devait le protéger. Il était encore si petit, si fragile. Pour une fois, elle devait faire face, se battre. Ainsi aurait réagi Marie.
    Un coup asséné contre la porte la fit sursauter. Déjà le souper ? Elle essuya d’un revers de main les larmes qui trempaient ses joues et s’avança, le volume de lais de Mme Marie de France plaqué contre son ventre, pathétique armure des femmes déçues d’amour.
    Un garde passa la tête par l’entrebâillement, annonçant d’un ton de respect :
    — Madame, le seigneur bailli, Guy de Trais, requiert l’honneur d’une conversation.
    — L’honneur est mien.

    Guy de Trais s’avança aussitôt, la saluant bas. Il remarqua immédiatement les sillons translucides abandonnés par ses larmes sur sa peau pâle.
    — Madame… croyez que cette fâcheuse, épineuse circonstance me déplaît au plus profond. Néanmoins, les accusations portées contre vous par votre famille d’alliance sont si graves que je ne puis les ignorer sans faillir à ma charge.
    Crispant les mains sur le joli volume relié de cuir bleu indigo, elle s’exclama :
    — Monsieur, sur ma foi, je suis innocente des monstruosités dont on m’accuse ! Au demeurant… je ne parviens pas à saisir ce qui a convaincu ma famille d’alliance que je pouvais être capable d’une telle abomination. J’en viens à soupçonner une machination… sans toutefois parvenir à déterminer sa source. Veut-on m’abattre ? Et pour quelle raison ? Tente-t-on de me séparer de mon fils ? Pourquoi ? Pense-t-on que mon influence sur lui est néfaste ? Pis… je redoute, je m’égare et m’affole : veut-on l’occire prestement, pauvre enfant sans défense ? Je ne sais. Je bute depuis des jours.
    Les mises en garde d’Énora défilèrent dans l’esprit de Guy de Trais.
    — M’expliquez votre sentiment, madame. Je vous conjure de croire en ma totale impartialité dans cette affaire.
    — Ne prêtez pas trop d’importance à mes élucubrations 3 de captivité, monsieur. L’inquiétude est un huis béant dans lequel s’engouffrent les pensées les plus sombres, voire les plus insensées. Toutefois… s’il arrivait un malheur à mon fils Guillaume… qui hériterait des biens et du titre ?
    — Le fils de madame Agnès, traduisit Guy de Trais.
    — Surtout, surtout, de grâce, m’en

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