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En ce sang versé

En ce sang versé

Titel: En ce sang versé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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urines émises, typique d’une intoxication aiguë au plomb 30 . Mes trois patients pissaient tels vous et moi. Davantage même, en raison des multiples tisanes ou bouillons que j’avais recommandé qu’on leur fît boire.
    Une violente émotion étreignit Hardouin qui débita :
    — Messire mire, cela signifie donc que les mâles Vigonrin n’ont pas été enherbés au plomb. Or, qu’a découvert la baronne mère dans le psautier justifiant l’arrestation de madame Mahaut ? Du plomb ! N’est-ce pas bien étrange ? L’excellence de votre art sauvera peut-être une femme innocente du bûcher. Tudieu : quelle merveille que la science !
    Antoine Méchaud se leva d’un bond du coffre-banc, soudain agité par une énergie peu commune. Il s’énerva :
    — Ah, Dieu du ciel… Ah, messire Venelle… Ah, je ne sais comment vous exprimer ma gratitude, ma reconnaissance… Ah, quel ami vous faites… C’est Dieu qui a voulu que votre chemin croise le mien…
    Interloqué, M. Justice de Mortagne l’interrompit :
    — Ah ça ! Mais… je… enfin si l’un de nous deux est redevable à l’autre d’un précieux appui… c’est moi ! Enfin, messire, je vous l’assure. Je suis votre débiteur, à votre heure et votre souhait.
    — Oh que nenni ! s’obstina le médecin. Je suis votre obligé, messire, j’insiste. Peu d’êtres m’auront tendu la main ainsi que vous venez de le faire. Entendez, messire Venelle : vous venez de m’offrir un immense soulagement. Mon art, ma science, mon expérience vont sauver une créature de Dieu. Parce que je sais ce que tant d’autres ignorent, une femme injustement accusée vivra. Ah, quel magnifique présent vous me faites là, en un moment où je doutais tant de mon utilité… de ma science, justement, laquelle est bien modeste, je vous l’assure ! Ah, quel bonheur, quelle infinie récompense ! Soudain terriblement grave, le médecin déclara : Monsieur, le merci à vous, du fond du cœur !

    Écoutant à peine le mire, Hardouin laissa échapper un long soupir. Il avait la sensation qu’une chape malfaisante venait de s’évanouir. D’un coup, l’air qu’il inspirait redevenait vivifiant, la fatigue des derniers jours s’était dissipée comme par enchantement. Il allait sauver Mahaut, pour sa sœur Marie. Oh certes, il n’effacerait pas un inique bûcher de justice en en empêchant un autre. D’ailleurs, il ne le souhaitait pas. Il voulait conserver cette immense plaie à son âme, parce que, au fond, cette blessure lui avait soudain fait prendre conscience de sa vie. Mais justement, cette vie inespérée, sa vie, revenait de droit à Marie. Il voulait conserver sa dette envers elle jusqu’à son dernier souffle par superstitieuse crainte que le précieux fantôme ne l’abandonne tout à fait une fois la créance remboursée. Si l’imitation d’existence dans laquelle il s’était complu tant d’années lui avait paru confortable, la venue de Marie avait provoqué un tel cataclysme que rejoindre à nouveau ce désert de sens, de signes, d’émotions était maintenant impossible.
    — Qu’allons-nous faire ? demanda le médecin, presque penaud.
    — Je ne sais au juste, d’autant que ma journée du demain est consacrée aux Clairets et à messire de Tisans. En tout cas, tout ce qui est en notre pouvoir ! Ce Fauvel, cet aesculapius vous a donc prêté renfort afin d’examiner madame de Tisans ? Qu’en avez-vous fait ?
    L’embarras le disputa au regret en Méchaud. À la vérité, Hardouin avait fait taire en quelques phrases la lancinante interrogation, le tenace reproche qu’il s’adressait depuis des mois, convaincu de la médiocrité de son art. Il lui en était si reconnaissant. Avoir, à nouveau, le sentiment que son savoir faisait une différence, œuvrait pour un mieux, l’avait rajeuni d’un coup. Toutefois, l’infranchissable limite restait, resterait ce pacte tacite de secret qui le liait à ses patients, morts ou bien vifs.
    — Je ne puis me laisser aller à des bavardages en la matière, et vous m’en voyez fort marri. Avec votre permission, je réserve mes observations et celles de mon éminent confrère, surtout les siennes, d’ailleurs, au père de madame Henriette. Pensez-vous que je puisse le venir entretenir de cette affaire, au tôt demain, en l’auberge ? Ne m’en veuillez pas, de grâce.
    — Oh, loin de moi cette pensée ! En vous priant, bien au contraire, d’excuser ma stupide insistance.

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