En ce sang versé
une intervention de la très bonne et très sainte Vierge. J’avoue qu’en dépit de ma dévotion toute particulière envers la sainte Mère, des doutes m’ont troublé. Cette guérison était… inespérée. L’enfant, amaigri, évoquant un léger squelette, délirant, ne respirait qu’avec la plus grande difficulté. En le quittant après ma dernière visite, j’étais certain qu’il ne passerait pas la nuit. Je revois encore l’empreinte de la mort gravée sur son petit visage livide. Et puis… Et puis…
— Et puis ? Je vous conjure et vous supplie de m’aider, mire. Si cette femme est coupable d’avoir voulu occire la chair de sa chair, qu’elle paie son ignoble forfait. Si elle est innocente, nous devons le prouver, insista Hardouin.
— Nous parlons justice, n’est-ce pas ? Votre but ne consiste pas à faire absoudre à tous coûts madame de Vigonrin par… regret envers sa sœur suppliciée à tort ?
— Nous parlons justice, sur ma foi et mon honneur.
— Bien. Alors que je quittais Guillaume, la baronne mère, Béatrice de Vigonrin, une femme d’exception, me fit part de… « soupçons » serait abusif… disons de ses inquiétudes. Je la mis en garde contre des déductions trop hâtives et lourdes de funestes implications.
— Subodorait-elle qu’on tentait d’enherber Guillaume, son petit-fils ?
— Hum… en effet, elle et sa fille Agnès de Malegneux commençaient de se poser d’affreuses questions.
— Et ensuite ? le pressa le bourreau.
— Je tiens la suite de notre seigneur bailli, une connaissance d’Eustache de Malegneux, le gendre de la baronne mère. Lors d’une fouille discrète, madame Béatrice découvrit, dissimulé dans la chambre de son petit-fils, le psautier italien à couverture incrustée de nacre et de turquoise de Mahaut de Vigonrin, cadeau de son époux François pour la naissance de l’hoir, cadeau qu’elle prétendait avoir égaré.
— Un psautier ?
— Hum… la page de garde, représentant un Christ sur la Croix, avait été barbouillée de sang et un cadavre desséché de crapaud reposait sur une poche de toile noire, fourrée dans le compartiment ménagé par la découpe des pages.
— Enherbeuse, sorcière et suppôt de Satan ! Ses chances de s’en tirer vive s’amenuisent, commenta Hardouin d’un ton distant.
— En effet. Le sachet noir renfermait une poudre d’un terne gris foncé, à l’aspect gras, d’odeur douceâtre et métallique.
— Qu’était-ce ?
— À la demande de Guy de Trais, je l’ai palpé, goûté. Sucré, métallique en effet. Du plomb*.
— Le plomb occit-il ? s’étonna le bourreau.
— Certes, ingéré à doses assez importantes ou alors à plus faibles, mais durant une longue période. Beaucoup l’ignorent, hormis les toxicatores 23 les plus expérimentés qui l’utilisent depuis la nuit des temps. Toutefois, peu de gens se doutent de son effroyable pouvoir, au point que nous sucrons nos vins les plus fins grâce à lui 24 , puisqu’il a l’avantage sur le miel de ne pas donner lieu à des fermentations.
— Comment se manifeste son action ? voulut savoir M. Justice de Mortagne.
— De façon variable, pour ce que j’en sais. Il provoque des vomissements et des diarrhées évoquant une maladie de ventre. Puis surviennent des convulsions que le praticien peut aisément attribuer à un délire de fièvre et enfin la mort.
— Qu’oppose madame Mahaut pour sa défense ?
— Je ne sais.
Le mire était soudain devenu évasif, comme si une pensée incongrue s’imposait à son esprit. Hardouin s’en inquiéta :
— Me trompé-je ? Un trouble vous saisit-il ?
— Vous faites un redoutable liemier 25 , messire, plaisanta Méchaud, le cœur pourtant lourd.
— C’est que je connais les tréfonds de l’âme humaine. Une fréquentation rarement réjouissante.
— Je m’en veux… j’aurais dû… Mon excellent confrère Jehan Fauvel, un étonnant aesculapius, m’a fait l’honneur de demeurer chez moi trois jours. J’aurais dû lui faire part d’une incertitude concernant cette affaire. Mais nous étions mandés en l’abbaye des Clairets afin d’examiner la défunte fille de votre sous-bailli de Mortagne. J’avoue que cet effroyable meurtre m’a fait oublier l’arrestation de madame Mahaut.
La surprise se peignit sur le visage d’Hardouin, qui intervint :
— Morbleu 26 , monsieur ! Vous êtes donc l’homme providentiel que je devais
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