En ce sang versé
longtemps.
— Ni paysan, ni bracon, ni bandit de chemin. Alors qui ? Qui s’intéresse tant à nous ?
— Quelqu’un que passionne notre quête de vérité. Quelqu’un qui sait, ou veut apprendre, l’identité du tueur d’Henriette de Tisans.
— Ah, foutre ! Il ne s’agit donc pas d’un acte commis par un immonde voleur qui aurait pris l’escampe 7 , son forfait accompli ?
— Je n’ai jamais vraiment ajouté foi à cette version, renchérit Hardouin.
— Et pourquoi cela ?
— La jument de votre fille, retrouvée à quelques toises de sa dépouille, au prétexte que le tueur aurait craint que l’on repère le marquage au fer de l’abbaye. Ce détail m’a toujours troublé. Contrairement aux bestiaux, fort peu de chevaux sont marqués au fer rouge, et certainement pas des haquenées qui valent bon prix lorsqu’on les vend après dressage à un seigneur pour sa dame ou ses filles. On ne marque que les chevaux que l’on entend conserver, ou alors les étalons dont les saillies sont si prisées que l’on redoute leur vol. En d’autres termes, un véritable brigand n’aurait pas négligé la jument.
— Ah, Dieu du ciel… l’abbesse m’aurait menti ?
— Pas directement. Disons qu’elle a vous laissé croire à cette hypothèse.
Ébahi, le sous-bailli le considéra. Hardouin poursuivit :
— Selon moi, madame Constance de Gausbert en sait beaucoup plus qu’elle ne l’admet. Certaines de ses filles également, j’en gagerais. Et non, non ! Ôtez-vous de l’idée qu’une des moniales a peut-être tué Henriette et que la mère abbesse couvre ce meurtre.
— Comment pouvez-vous en être si certain puisque vous évoquez, sans détour, une complicité de l’abbaye, du moins par le silence ? s’énerva Tisans.
— Si l’on envisage une tueuse moniale, il aurait donc fallu que celle-ci gardât Henriette en un lieu secret durant quatre jours. Quelle affreuse complication dans ce monastère, où toutes sont témoins des allées et venues des autres. Ajoutez à cela la magnifique musculature de votre aînée. Une femme serait-elle parvenue à la tenir au secret si longtemps ? Cette hypothèse m’aurait peut-être séduit… votre pardon pour une malheureuse expression… si votre fille avait été étranglée peu après son départ en tournée d’aumôneurs. Or, les déductions de cet aesculapius, ce Jehan Fauvel, transmises par le mire Méchaud, insistent sur le fait qu’elle a été occise en début de soirée, peu d’heures avant sa découverte à l’extérieur de l’enceinte.
— Juste raisonnement, admit le sous-bailli de Mortagne. Mais alors… ?
— Revenons aux égratignures et croûtes fraîches que portait le dos de votre fille. Vous soulignâtes qu’on ne se fustigeait pas en voyage, alors que l’on nuitait chez des presque inconnus. Elle a donc été frappée ou traînée au sol, le dos dénudé.
— Fauvel fut formel sur d’autres aspects, se souvint Tisans d’une voix blanche. La cordelette retrouvée serrée sur le col de sa robe et l’arrière de sa coiffe a été replacée après son meurtre, alors qu’on l’avait revêtue, à l’exception sans doute de ses bas d’hiver. Si on l’avait étranglée au lien au travers de son vêtement, la peau de son cou n’aurait pas porté les vives abrasions étendues qu’il a remarquées.
— S’ajoute le fait que vous me narrâtes : le maudit a attaqué Henriette de face et non par-derrière, ainsi que le révèle l’absence de marques sur le devant du larynx, là où les mains ont tendu la corde.
— Votre théorie ? Ne cherchez pas à m’épargner, de grâce.
— Une exécution dictée par la haine. On l’a frappée avec rage, on l’a regardée droit dans les yeux en la suffoquant. On voulait la voir rendre son dernier souffle. Puis, on a dérobé l’argent qu’elle transportait pour faire accroire un meurtre dicté par le lucre, sans s’embarrasser de la jument qui a sans doute permis de ramener la dépouille non loin de la porterie principale. Une haine brûlante.
— Et la contusion de sa tempe ?
— Afin de l’immobiliser… avant le reste… Votre fille était très musclée pour une représentante de la douce gent. Elle se serait âprement défendue, ainsi que vous l’observâtes. Or, elle ne portait aucun hématome sur les avant-bras. Selon moi, elle a été immobilisée, d’une façon ou d’une autre. Et justement, cette contusion évoque une
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