Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
n’est pas un lâche, pas plus qu’il n’est un imbécile ! S’est-il enfui déjà devant l’ennemi ? A-t-il déjà abandonné ses braves sur le sentier de la guerre pour rentrer se terrer dans son tipi ? Le seul jour où il a battu en retraite devant vos ennemis, c’était lui qui fermait la marche, lui qui faisait face aux Ojibwés et vous protégeait comme une ourse protège ses petits. Ta-oya-te-duta n’a-t-il pas des scalps ? Regardez ses plumes de guerre ! Voyez les scalps de vos ennemis accrochés aux piquets de son tipi ! Un lâche, dites-vous ? Ta-oya-te-duta n’est pas un lâche, pas plus qu’il n’est un imbécile. Mes braves, vous êtes tels des petits enfants ; vous ne vous rendez pas compte de ce que vous faites.
« Vous êtes pleins de l’eau maléfique de l’homme blanc. Vous êtes comme les chiens à la Lune Chaude qui courent comme des fous en mordant leur propre ombre. Des petits troupeaux de bisons éparpillés, c’est tout ce que vous êtes. Les grands troupeaux qui régnaient sur les prairies autrefois ne sont plus. Voyez ! Les hommes blancs sont telle une nuée de criquets, si dense qu’on dirait une tempête de neige qui aurait envahi le ciel tout entier. Vous pouvez en tuer un, deux, dix – oui, autant qu’il y a de feuilles dans ces forêts tout là-bas – et leurs frères ne les pleureront pas. Tuez-en un, deux, dix, et ils seront dix fois dix à venir vous tuer. Vous pouvez passer la journée à essayer de les compter, les hommes blancs viendront avec des fusils et vous tueront plus vite que vous ne savez compter.
« Certes, ils se battent entre eux – quelque part au loin. Mais entendez-vous le grondement de leurs grands fusils ? Non, même en courant il vous faudrait deux lunes pour parvenir là où ils se battent, et tous les endroits que vous traverseriez seraient peuplés de soldats blancs aussi nombreux que les roseaux dans les marécages des terres ojibwés. C’est vrai, ils se battent entre eux, mais si vous les attaquez, ils se retourneront tous contre vous et vous dévoreront, vous, vos femmes et vos enfants, de la même manière que les criquets qui, le moment venu, s’abattent sur les arbres et, en l’espace d’un jour, en dévorent toutes les feuilles.
« Vous êtes des imbéciles. Vous n’arrivez pas à voir le visage de votre chef car vos yeux sont emplis de fumée. Vous ne pouvez pas entendre sa voix car vos oreilles sont pleines du rugissement des eaux. Mes braves, vous êtes tels des petits enfants – vous êtes des imbéciles. Vous mourrez comme les petits lapins que les loups affamés chassent à la Dure Lune de janvier.
« Ta-oya-te-duta n’est pas un lâche. Il mourra avec vous. »
Big Eagle prit alors la parole pour plaider la paix, mais les clameurs l’obligèrent à se taire. Dix ans de malheurs causés par les Blancs – de traités non respectés, de terres de chasse perdues, de promesses rompues, d’annuités non versées, auxquels s’ajoutait leur faim, alors même que les entrepôts de l’agence regorgeaient de vivres, et les paroles insultantes d’Andrew Myrick, voilà qui faisait passer le meurtre de quelques colons blancs à l’arrière-plan.
Little Crow envoya des messagers pour demander aux Wahpetons et aux Sissetons de combattre les Blancs avec lui. On réveilla les femmes, qui se chargèrent de fondre le plomb pour fabriquer les balles pendant que les guerriers nettoyaient leurs fusils.
Voici la suite des événements, telle que la raconta plus tard Big Eagle : « Little Crow a donné l’ordre d’attaquer l’agence au petit matin, et de tuer tous les négociants. Le lendemain, j’ai suivi les guerriers qui donnaient l’assaut. Je n’étais pas un meneur, et je n’ai pas participé au massacre. Je voulais voir si je pouvais sauver la vie de deux de mes amis. Je pense que d’autres y sont allés pour les mêmes raisons, car les Indiens avaient presque tous là-bas des amis chers ; mais bien entendu, nul ne se souciait des amis des autres. Le massacre était pratiquement terminé quand je suis arrivé. Little Crow était là, à diriger les opérations (…). Andrew Myrick, un négociant marié à une Indienne, avait peu de temps auparavant refusé de faire crédit à des Indiens affamés lorsque ceux-ci lui avaient demandé des vivres. Il leur avait dit : “Vous n’avez qu’à manger de l’herbe.” À présent, il était là, allongé sur le sol, mort, la bouche remplie d’herbe, et
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