Essais sceptiques
semblent d’une grande valeur. Il est certain que la philosophie communiste convient à l’industrialisme plus que la philosophie capitaliste, car l’industrialisme accroît inévitablement l’importance des organisations aux dépens des individus et que la propriété privée de la terre et des ressources naturelles caractérisent plus naturellement un régime agricole qu’un régime industriel. La propriété privée de la terre a une double origine : la première, aristocratique, basée partout sur le droit de l’épée, et la seconde, démocratique, basée sur le droit du paysan à posséder la terre qu’il cultive lui-même. Ces deux droits deviennent illogiques et absurdes dans une communauté industrielle. Les droits régaliens sur les mines et la propriété privée urbaine montrent clairement l’absurdité de la forme aristocratique de la propriété des terres, puisqu’on ne peut pas prétendre que les revenus qu’en tire le propriétaire aient une utilité sociale quelconque. Mais le droit du paysan à la terre qu’il cultive peut donner lieu à des absurdités analogues. Un fermier Boer qui découvre de l’or dans sa ferme acquiert des richesses qui ne sont justifiées par aucun service qu’il rend à la communauté. La même chose s’applique à un paysan qui possède une ferme dans une terre qui passe à une ville. Non seulement la propriété privée, mais encore la propriété nationale peut impliquer des absurdités. Il serait ridicule de prétendre que l’Égypte et le Panama devraient contrôler les canaux qui se trouvent sur leurs territoires ; et l’idée que des pays peu développés ont un droit irrévocable de contrôler des choses comme le pétrole qui peut se trouver sur leurs territoires ne peut faire que du mal. Les arguments théoriques en faveur du contrôle international des matières premières sont irrésistibles et ce n’est que la tradition agricole qui nous fait tolérer le fait qu’on permet à de riches voleurs de grand chemin de prélever un péage sur le monde pour le droit de se servir de minéraux indispensables.
Les communautés industrielles ont une unité intérieure beaucoup plus étroite que les communautés agricoles, et des pouvoirs légaux qu’on peut accorder aux individus dans celles-ci peuvent devenir extrêmement dangereux dans celles-là. De plus, le recours évident à l’envie (encore connue sous le nom de sens de la justice) travaille pour les socialistes. Mais malgré ces considérations, je ne pense pas que les idées socialistes puissent devenir communes en Amérique durant les cent prochaines années et sans une Amérique favorable aux idées socialistes, aucune nation à l’intérieur de son orbite économique ne pourra pratiquer même un socialisme modéré, comme on l’a vu lors de l’abolition de la propriété étatique des chemins de fer, en Allemagne, sous le plan Dawes.
Mes raisons de dire que l’Amérique ne deviendra pas socialiste sont basées sur la croyance que la prospérité américaine continuera. Tant que l’ouvrier américain sera plus riche que l’ouvrier dans un pays socialiste, la propagande capitaliste aura la possibilité de repousser les arguments en faveur d’une transformation économique. À cet égard, les organisations de production massive que j’ai mentionnées plus haut sont d’une importance capitale. Des journaux syndiqués, un enseignement supérieur subsidié par des millionnaires, une éducation primaire contrôlée par les Églises qui à leur tour profitent des donations de millionnaires, un commerce de livres bien organisé qui peut décider par des annonces quels seront les livres qui se vendront beaucoup, et qui peut les produire à bien meilleur marché que des livres à circulation limitée ; la radio ; mais, plus que toute autre chose, le cinéma dont les productions extrêmement coûteuses rapportent des bénéfices en étant exportées dans tout l’Occident, – tout cela contribue à l’uniformité, au contrôle centralisé des idées et des informations et à la propagation exclusive de religions et de philosophies approuvées par les tenants du pouvoir.
Je ne pense pas qu’une telle propagande soit entièrement et inévitablement irrésistible, mais je pense qu’elle l’emportera probablement aussi longtemps que le régime qu’elle recommande semblera à l’homme moyen porter les marques du succès. Une défaite militaire qui est une marque de faillite
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