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Essais sceptiques

Essais sceptiques

Titel: Essais sceptiques Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bertrand Russell
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qu’elle soit fondamentalement économique, s’étendra sur tout le domaine de la croyance. Quand je dis « croyance » j’entends par là des opinions dogmatiques concernant des sujets sur lesquels on ne connaît pas la vérité. On pourrait naturellement éviter tout le mal par le développement de l’esprit scientifique, c’est-à-dire par l’habitude de baser ses opinions sur des preuves plutôt que sur des préjugés ; mais bien que la technique scientifique soit indispensable à l’industrialisme, l’esprit scientifique appartient plutôt au commerce, puisqu’il est nécessairement individualiste et non influencé par l’autorité. Nous devons donc nous attendre à le voir survivre dans de petits pays seulement, comme la Hollande, le Danemark et la Scandinavie qui sont en dehors du principal courant de la vie moderne.
    Mais il n’est pas improbable que peu à peu, après un siècle ou environ de conflits, les deux partis soient fatigués, comme cela est arrivé après la guerre de Trente ans. Quand ce temps viendra, les partisans de la tolérance auront de nouveau leur tour.
    Pour ma part, je regarde la bataille qui vient, comme Érasme le faisait jadis, sans être capable de me joindre de tout cœur à aucun des deux partis. Il est vrai que je suis d’accord avec les Bolcheviks sur beaucoup plus de points qu’avec les magnats américains, mais je ne puis croire que leur philosophie soit absolument vraie ou susceptible de créer un monde heureux. Je reconnais que l’individualisme qui ne cessait d’augmenter depuis la Renaissance est allé trop loin et qu’un esprit plus coopératif est indispensable si les sociétés industrielles doivent être stables et apporter des satisfactions à l’homme et à la femme moyens. Mais ce qui me semble difficile à admettre aussi bien dans la philosophie bolchévik que dans la philosophie américaine, c’est que son principe d’organisation est économique, tandis que les groupements qui sont conformes à l’instinct humain sont biologiques. La famille et la nation sont biologiques, le trust et la
trade-union
sont économiques. On ne peut nier le mal fait actuellement par les groupements biologiques, mais je ne pense pas qu’on puisse résoudre les problèmes sociaux en ignorant les instincts qui produisent ces groupements. Je suis convaincu, par exemple, que si l’on éduquait tous les enfants dans des institutions d’État sans la coopération des parents, une grande proportion d’hommes et de femmes perdrait un stimulant pour une activité sérieuse et deviendrait indifférente et ennuyée. Le nationalisme aussi a peut-être sa place, bien qu’il soit évident que les armées et les flottes n’en sont pas une expression désirable et que son domaine propre soit plutôt culturel que politique. On peut beaucoup changer les êtres humains par des institutions et l’éducation, mais si on les change de manière à étouffer des instincts fondamentaux, il en résultera une perte de vigueur. Et les Bolchéviks se trompent certainement en parlant comme si l’instinct économique était le seul qui ait une importance psychologique. Ils partagent cette erreur avec la société basée sur la concurrence, dans les pays occidentaux, et bien qu’en Occident on soit moins explicite sur ce point.
    L’illusion fondamentale de notre époque, à mon avis, est l’importance excessive attribuée aux aspects économiques de la vie et je ne prévois pas que la lutte entre les philosophies communiste et capitaliste cessera avant qu’on reconnaisse que les deux sont inadéquates à cause de leur incompréhension de besoins biologiques.
    Quant aux méthodes pour diminuer la férocité de la lutte, je ne connais rien de meilleur que les anciens mots d’ordre libéraux : mais en même temps je pense que, probablement, ils seront très inefficaces. Les choses dont on a besoin sont la liberté de l’opinion et la facilité de propager l’opinion. C’est surtout cette dernière liberté qui est gênée. Le mécanisme indispensable pour une diffusion efficace et large d’une opinion se trouve nécessairement entre les mains soit de l’État, soit de grandes organisations capitalistes. Avant l’introduction de la démocratie et de l’éducation, cela était beaucoup moins vrai : l’opinion était effectivement confinée à une petite minorité qu’on pouvait atteindre sans avoir recours à l’appareil coûteux de la propagande moderne. Mais on peut à

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