Essais sceptiques
à tout prix. Le fanatique ne se rend pas compte que la suppression d’un certain mal réel, conduite d’une façon trop violente, produit d’autres maux qui sont encore plus grands. Nous pouvons prendre comme exemple la loi contre les publications obscènes. Personne ne nie que le plaisir de l’obscénité ne soit bas ou que ceux qui le fournissent ne fassent du tort. Mais quand la loi intervient pour la supprimer, elle supprime en même temps beaucoup de choses qui sont très désirables. Il y a quelques années, on envoya par la poste, à un acheteur anglais, quelques tableaux d’un grand artiste hollandais. Les fonctionnaires des Postes, après avoir eu le plaisir de bien les contempler, conclurent qu’ils étaient obscènes. (Personne ne s’attend de la part du Service civil à une juste association des mérites artistiques). Ils les détruisirent donc, et réparation ne fut pas donnée à l’acheteur. La loi autorise le Service des Postes à détruire tout envoi considéré comme obscène par les fonctionnaires et sa décision est sans appel.
On trouve un exemple plus important des maux qui résultent de la législation puritaine dans l’attitude adoptée envers le contrôle des naissances. Il est évident que « l’obscénité » n’est pas un terme susceptible d’une définition légale précise ; dans la pratique des tribunaux, ce terme signifie : « tout ce qui choque le magistrat ». Or, un magistrat moyen ne s’indigne pas des informations sur le contrôle des naissances si elles sont données dans un livre cher qui emploie des mots longs et des phrases indirectes, mais il s’indigne de les trouver dans une brochure bon marché qui emploie le langage simple que des gens non instruits peuvent comprendre. Par conséquent, il n’est pas légal actuellement en Angleterre de renseigner sur le contrôle des naissances les salariés, bien qu’il soit légal de renseigner les gens instruits. Pourtant ces renseignements sont plus importants pour les salariés que pour n’importe qui d’autre. Il faut noter que cette loi ne tient aucun compte du but d’une publication, sauf dans quelques cas spéciaux, comme par exemple, s’il s’agit de manuels de médecine. Le seul problème dont elle s’occupe est celui-ci : si cette publication tombe entre les mains d’un méchant garçon, pourrait-elle lui donner du plaisir ? Si oui, il faut la détruire, quelle que soit l’importance sociale des renseignements qu’elle contient. Le mal fait par l’ignorance forcée qui en résulte est incalculable. La misère, les maladies chroniques qui frappent les femmes, la surpopulation et la guerre sont, pour nos législateurs puritains, des maux plus petits que le plaisir hypothétique de quelques garçons stupides.
Et on pense que la loi telle qu’elle existe n’est pas encore assez violente. Sous les auspices de la Société des Nations, une Conférence internationale sur les Publications obscènes recommanda le renforcement de cette loi aux États-Unis et dans tous les pays appartenant à la Société des Nations (voir le
Times
du 17 septembre 1923). Le délégué britannique fut, semble-t-il, le plus zélé à contribuer à la réalisation de cette œuvre utile.
Un autre objet d’une législation étendue est la traite des esclaves blanches. Dans ce cas, le mal réel est très grave et mériterait d’être soumis à la juridiction criminelle. Le mal réel consiste en ceci que de jeunes femmes sont séduites par de fausses promesses à accepter une situation de demi-esclavage où leur santé est exposée aux dangers les plus graves. C’est essentiellement une question de la législation du travail, pour la solution de laquelle on devrait s’inspirer des
Factory Acts
et des
Truck Acts.
Mais on en fit un prétexte pour limiter exagérément la liberté individuelle dans des cas où les dangers particuliers à la traite des esclaves blanches sont entièrement absents. Il y a quelques années, les journaux anglais relatèrent le cas d’un homme tombé amoureux d’une prostituée et qui se maria avec elle. Après avoir vécu avec lui quelque temps, la femme décida de reprendre son ancienne profession. Il n’y eut aucune preuve que son mari l’ait poussée à cette décision ou même qu’il ait approuvé son acte ; mais jamais il ne se querella avec elle, ni ne la mit à la porte. Pour ce crime il fut fouetté et jeté en prison. Il fut ainsi puni sous une loi alors récente, mais qui est
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