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Essais sceptiques

Essais sceptiques

Titel: Essais sceptiques Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bertrand Russell
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encore dans le code.
    En Amérique, une loi analogue permet d’entretenir une maîtresse, mais interdit de voyager avec elle d’un État à l’autre ; un New-Yorkais a le droit d’emmener sa maîtresse à Brooklyn, mais non à Jersey-City. Pour un homme ordinaire la différence de turpitude morale entre ces deux actions n’est pas évidente.
    Dans cette matière aussi, la Société des Nations essaie de rendre la législation plus sévère. Il y a quelque temps, le délégué canadien à la Société des Nations proposa qu’on interdît à toute femme, de n’importe quel âge, de voyager sur un bateau, à moins d’être accompagnée par son mari ou l’un de ses parents. Cette proposition ne fut pas adoptée, mais elle caractérise les tendances actuelles. Il est évidemment clair que de telles mesures transforment toutes les femmes en « esclaves blanches » ; les femmes ne peuvent jouir d’aucune liberté sans courir le risque que quelqu’un l’utilisera pour des buts « immoraux ». Le seul but logique de tels réformateurs est le gynécée.
    Il y a un autre argument, de portée plus générale, contre la conception puritaine du monde. La nature humaine étant ce qu’elle est, les gens insisteront pour tirer quelque plaisir de la vie. D’une manière grossière et pour des buts pratiques, on peut diviser les plaisirs en deux classes : ceux qui sont fondés sur les sens et ceux qui viennent principalement de l’esprit. Le moraliste traditionnel exalte les seconds aux dépens des premiers ; ou plutôt, il tolère les seconds parce qu’il ne les considère pas comme des plaisirs. Bien entendu, sa classification n’est pas défendable scientifiquement et dans beaucoup de cas il est dans le doute lui-même. Les plaisirs de l’art sont-ils des plaisirs des sens ou de l’esprit ? S’il est réellement sévère, il condamnera l’art
in toto
, comme Platon et les Pères de l’Église ; s’il a des vues plus ou moins larges, il tolérera l’art aux tendances « spirituelles », ce qui signifie généralement que c’est de l’art mauvais. C’est l’opinion de Tolstoï. Le mariage est un autre cas difficile. Les moralistes sévères considèrent qu’il est regrettable ; les moins stricts le glorifient pour la raison que d’habitude il n’est pas agréable, spécialement quand ils réussissent à le rendre indissoluble.
    Ce n’est pourtant pas tout cela qui est le plus important. Ce que je crois important, c’est que les plaisirs qui restent encore permis après que le Puritain a fait de son mieux, sont plus nuisibles que ceux qu’il condamne. Le plaisir le plus grand après celui de nous réjouir nous-mêmes est celui d’empêcher les autres de se réjouir, ou, plus généralement, celui d’acquérir du pouvoir. Par conséquent, ceux qui vivent sous la domination des Puritains deviennent très avides du pouvoir. Or, l’amour du pouvoir fait beaucoup plus de mal que l’amour de la boisson ou n’importe quel autre vice condamné par les Puritains. Bien entendu, chez les gens vertueux, l’amour du pouvoir se déguise en amour de faire le bien, mais cela fait très peu de différence quant aux effets sociaux. Cela veut simplement dire que nous punissons nos victimes sous le prétexte qu’elles sont méchantes au lieu de les punir pour être nos ennemis. Dans les deux cas, l’effet c’est la tyrannie et la guerre. L’indignation morale est une des forces les plus nuisibles dans le monde moderne, d’autant plus qu’elle peut toujours être utilisée pour des buts sinistres par ceux qui sont les maîtres de la propagande.
    L’organisation économique et politique s’est nécessairement renforcée avec la croissance de l’industrialisme, et doit encore se renforcer, à moins d’un écroulement de l’industrialisme. La terre devient plus bondée, et nous dépendons chaque jour plus étroitement de nos voisins. Dans ces conditions, la vie ne peut rester supportable que si nous apprenons à nous laisser la paix les uns aux autres dans toutes les affaires qui ne concernent pas directement et clairement la communauté. Nous devons apprendre à respecter la vie privée de chacun et à ne pas nous imposer nos idéals moraux l’un à l’autre. Le Puritain s’imagine que son idéal moral est
l’idéal
moral ; il ne se rend pas compte que d’autres époques et d’autres pays et même d’autres groupes dans son propre pays ont des idéals moraux différents du sien et

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