Essais sceptiques
industriellement et, à un degré moindre dans d’autres pays qui se rapprochent des conditions américaines, un citoyen moyen, s’il veut gagner son pain, doit éviter de s’exposer à l’hostilité de certains personnages importants. Et ces personnages importants ont des idées religieuses, morales et politiques avec lesquelles leurs employés doivent être en accord, du moins extérieurement. Pour un homme qui, ouvertement quitte l’église ou qui croit à la nécessité d’adoucir les lois du mariage ou qui est mécontent de la puissance des grandes corporations, l’Amérique est un pays très peu confortable à moins qu’il ne soit un écrivain éminent. Le même genre exactement de restrictions à la liberté de penser se produit dans tout pays dont l’organisation économique a atteint pratiquement le degré de la monopolisation. C’est pourquoi il est plus difficile de sauvegarder la liberté dans le monde qui se développe actuellement qu’au XIX e siècle où la libre concurrence était encore une réalité. Quiconque a à cœur la liberté de l’esprit doit affronter cette situation pleinement et franchement et se rendre compte de l’impossibilité d’appliquer des méthodes qui fonctionnaient assez bien durant l’enfance de l’industrialisme.
Il y a deux principes simples qui, une fois adoptés, résoudraient presque tous les problèmes sociaux. Le premier est que l’un des buts de l’éducation doit être d’apprendre aux gens à n’accepter une proposition que s’il y a quelque raison de penser qu’elle est vraie. La seconde est qu’en donnant du travail à quelqu’un on ne devrait se guider que sur sa capacité de l’exécuter.
Considérons d’abord le second point.
L’habitude de tenir compte des habitudes religieuses, morales et politiques d’un homme en lui donnant un poste et du travail est la forme moderne de la persécution et elle deviendra probablement aussi efficace que l’Inquisition l’a jamais été. Les anciennes libertés peuvent demeurer entièrement légales sans être de la moindre utilité. Si, en pratique, certaines opinions privent un homme de son pain, c’est une piètre consolation pour lui de savoir que la loi ne le punit pas. Il existe un certain sentiment populaire contre le fait de priver les gens de leur pain s’ils n’appartiennent pas à un milieu conformiste ou s’ils ont des opinions politiques quelque peu avancées. Mais ce sentiment n’existe pas, pour ainsi dire, quand il s’agit de rejeter les athées ou les Mormons, les communistes ou des gens qui préconisent l’amour libre. On considère de tels hommes comme vicieux et on pense qu’il est tout naturel de les laisser sans emploi. Les gens ne se rendent pas encore clairement compte qu’un tel refus dans un état hautement industrialisé équivaut à une forme très rigoureuse de persécution.
Si ce danger était clairement compris, il aurait été possible de soulever l’opinion publique et d’arriver à éliminer les considérations d’opinion quand on nomme un homme à un poste. La protection des minorités est une question d’importance vitale ; même les plus orthodoxes d’entre nous peuvent se trouver un jour en minorité, si bien que nous avons tous intérêt à restreindre la puissance des majorités. Personne, sauf l’opinion publique, ne peut résoudre ce problème. Le socialisme le rendrait un peu plus aigu puisqu’il éliminerait les opportunités dues actuellement à des employeurs exceptionnels. Chaque nouvelle extension des entreprises industrielles empire la situation puisqu’elle diminue le nombre d’employeurs indépendants. Il faut conduire cette bataille exactement comme celle pour la tolérance religieuse. Et comme dans ce cas-là, un déclin de l’intensité de la croyance s’avérera probablement comme le facteur décisif. Quand les hommes étaient convaincus de la vérité absolue du catholicisme ou du protestantisme, ils étaient prêts à persécuter au nom de ces religions. Tant que les hommes auront foi dans leurs religions modernes, ils persécuteront en leur nom. Un certain élément de doute est essentiel à la pratique, sinon à la théorie de la tolérance. Et cela m’amène à l’autre point, celui qui concerne les buts de l’éducation.
Si la tolérance doit régner dans le monde, une des choses qu’on doit enseigner dans les écoles est l’habitude de peser les faits et l’habitude de ne pas donner son plein
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