Essais sceptiques
consentement à des propositions qu’il n’y a aucune raison de croire vraies. Par exemple on devrait enseigner l’art de lire les journaux. Le maître d’école devrait choisir quelque incident arrivé quelques années auparavant et qui avait alors soulevé les passions politiques. Il devrait ensuite lire aux enfants ce que disaient les journaux d’un parti, puis ce que disaient ceux de l’autre et enfin une relation impartiale de ce qui s’est réellement passé. Il devrait montrer comment, des relations tendancieuses de chaque parti, un lecteur expérimenté pouvait déduire ce qui était réellement arrivé et il devait leur faire comprendre que ce que les journaux écrivent est toujours plus ou moins faux. Le scepticisme cynique qui serait le fruit de cet enseignement immuniserait les enfants pour plus tard contre l’idéalisme par lequel des gens de bien sont amenés à contribuer à la réussite des plans des coquins.
C’est de la même façon qu’on devrait enseigner l’histoire. On devrait étudier les campagnes de Napoléon de 1813 et 1814, à l’aide du
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, par exemple, et montrer la surprise éprouvée par les Parisiens quand ils virent les Alliés sous les murs de Paris, après avoir, selon les bulletins officiels, été battus par Napoléon dans chaque bataille. Dans les classes supérieures, on devrait faire compter combien de fois Lénine fut tué par Trotski, afin de leur apprendre le mépris de la mort ! Finalement, on devrait leur mettre entre les mains un manuel d’histoire approuvé par le gouvernement et on devrait leur demander d’en déduire ce qu’un manuel français peut raconter de nos guerres avec la France. Tout cela ferait un bien meilleur entraînement au civisme que les maximes morales rabâchées que certaines bonnes gens croient susceptibles de donner de bons résultats.
Je pense qu’il faut reconnaître que les imperfections de notre monde sont dues à des défauts moraux tout autant qu’au manque d’intelligence. Mais la race humaine n’a pas jusqu’ici découvert le moyen d’abolir les défauts moraux ; les sermons et les exhortations ne font qu’ajouter l’hypocrisie à la liste des vices. Au contraire, on peut facilement améliorer l’intelligence par des méthodes connues des éducateurs compétents. C’est pourquoi jusqu’à la découverte de quelque méthode d’enseignement de la vertu, il faut essayer de faire des progrès par l’amélioration de l’intelligence plutôt que de la morale. Un des obstacles principaux que rencontre l’intelligence est la crédulité envers l’enseignement des formes dominantes du mensonge. La crédulité est un mal plus grand actuellement que jamais, car, grâce à l’expansion de l’éducation, il est beaucoup plus facile qu’autrefois de répandre de faux renseignements, et, grâce à la démocratie, les faux renseignements servent dans une plus grande mesure aux tenants du pouvoir. De là vient l’augmentation de la circulation des journaux.
Si on me demande maintenant comment on peut conduire le monde à adopter ces deux maximes, à savoir que : 1 o en donnant du travail on ne doit tenir compte que de la capacité de l’exécuteur ; 2 o un des buts de l’éducation devrait être de guérir les gens de l’habitude d’accepter comme vraies des propositions pour lesquelles il n’y a pas de preuves, – je ne puis répondre qu’une chose : que cela ne pourra se faire que par la création d’une opinion publique éclairée. Et on ne peut créer une opinion publique éclairée que par les efforts de ceux qui désirent qu’elle existe. Je ne crois pas que les changements économiques préconisés par les socialistes feront par eux-mêmes quoi que ce soit pour guérir les maux que nous avons examinés. Quoi qu’il arrive en politique, je pense que la marche du développement économique rendra de plus en plus difficile la sauvegarde de la liberté de l’esprit, à moins que l’opinion publique ait le pouvoir d’obtenir que l’employeur ne puisse rien contrôler dans la vie de l’employé en dehors de son travail. On pourrait facilement assurer la liberté de l’éducation, si l’on voulait : en limitant les fonctions de l’État à l’inspection et au paiement, et en déterminant rigidement les limites de cette inspection. Mais dans l’état actuel des choses, ces réformes mettraient l’éducation sous l’influence des églises, car, malheureusement, elles sont plus soucieuses
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