Essais sceptiques
majorité de salariés serait choquée si on faisait entendre que le Roi ne devrait pas s’entourer de plus de pompe qu’eux-mêmes. Je définirais donc la justice comme l’arrangement qui produit le moins d’envie. Cela signifierait l’égalité dans une communauté libre de toute superstition, mais non dans une communauté qui croit fermement à l’inégalité sociale.
Mais dans le domaine de l’opinion, de la pensée, de l’art, etc., un homme n’acquiert pas ses biens aux dépens d’un autre. De plus, dans ce domaine on ne sait pas avec certitude ce qui est bon. Si Dives se régale pendant que Lazarus mange une croûte de pain, on pensera que Dives est un hypocrite s’il prêche les avantages de la pauvreté. Mais si j’aime les mathématiques, tandis qu’un autre homme aime la musique, nous ne nous gênons pas l’un l’autre, et quand chacun de nous fait l’éloge de l’occupation de l’autre, nous ne sommes que polis. Et dans le domaine de l’opinion, la concurrence libre est la seule manière d’arriver à la vérité. Les vieux mots d’ordre libéraux étaient appliqués là où il ne le fallait pas, à l’économie ; c’est au domaine de l’esprit qu’ils s’appliquent réellement. Nous voulons la concurrence libre dans le monde des idées, et non dans celui des affaires. Ce qui est mal, c’est qu’avec la fin de la concurrence libre dans les affaires, les vainqueurs cherchent de plus en plus à se servir de leur pouvoir économique dans le domaine de l’esprit et de la morale, et exigent une manière de vivre et une manière de penser « convenables » comme une condition d’être autorisé à gagner son pain. C’est un fait malheureux, car une manière de vivre « convenable » signifie l’hypocrisie et une manière de penser « convenable » signifie la stupidité. Le danger est très grave que, soit sous le règne de la ploutocratie, soit sous celui du socialisme, tout progrès spirituel et moral soit rendu impossible par la persécution économique. On devrait respecter la liberté de l’individu partout où ses actions ne portent pas dommage aux autres gens, d’une manière directe, évidente et indubitable. Autrement, nos instincts de persécution produiront une société stéréotypée, comme l’Espagne du XVI e siècle. Le danger est réel et pressant. L’Amérique y est exposée avant tous les autres, mais nous, en Angleterre, nous suivrons presque certainement, à moins d’apprendre à apprécier la liberté dans son domaine à elle. La liberté que nous devons chercher n’est pas le droit d’opprimer les autres, mais le droit de vivre à notre gré et de penser de même partout où notre action n’empêche pas les autres d’en faire autant.
Pour finir, je voudrais dire un mot sur ce que j’ai appelé au commencement, le « dynamisme psychologique ». Une société où un type de caractère est commun peut être plus libre qu’une société où des types différents prédominent. Une société composée d’êtres humains et de tigres ne pourrait pas avoir beaucoup de liberté : ou bien les tigres ou bien les hommes seraient réduits en esclavage. C’est pourquoi, il ne peut y avoir de liberté dans les parties du monde où des hommes blancs gouvernent des populations de couleur. Pour obtenir le maximum de liberté, il est nécessaire de former les caractères par l’éducation, de manière à faire trouver aux hommes le bonheur dans des activités non oppressives. Cela dépend de la formation du caractère pendant les six premières années de la vie. Miss McMillan à Deptford éduque des enfants qui deviennent capables de former une communauté libre. Si on appliquait ses méthodes à tous les enfants riches et pauvres, une génération suffirait pour résoudre tous nos problèmes sociaux. Mais l’importance donnée à l’instruction a rendu tous les partis aveugles à ce qui est essentiel dans l’éducation. Plus tard, quand les enfants sont plus âgés, on ne peut que contrôler les désirs, non les modifier fondamentalement ; c’est pourquoi il faut enseigner la leçon de « vivre et laisser vivre » pendant la première enfance. S’il n’y avait que des hommes et des femmes qui ne désireraient pas des choses qu’on peut obtenir seulement par le malheur des autres, il n’y aurait plus d’obstacles pour la liberté sociale.
XIV
LA LIBERTÉ CONTRE L’AUTORITÉ DANS L’ÉDUCATION
LA LIBERTÉ , dans l’éducation comme
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