Essais sceptiques
une méthode de faire faire aux gens ce que leurs chefs désirent, tout en leur faisant croire qu’ils font ce qu’ils veulent eux-mêmes. L’éducation donnée par l’État devint donc tendancieuse. Elle enseigne aux jeunes (dans la mesure du possible) à respecter les institutions existantes, à éviter toute critique fondamentale des pouvoirs et à considérer les nations étrangères avec suspicion et mépris. Elle augmente la solidarité nationale aux dépens de l’internationalisme et du développement individuel. Le dommage porté au développement individuel vient de l’importance trop grande donnée à l’autorité. On encourage des émotions collectives plutôt qu’individuelles et on réprime sévèrement tout désaccord avec les croyances dominantes. On désire l’uniformité, car elle convient à l’administration, et on ne tient pas compte du fait qu’on ne peut l’obtenir qu’au prix de l’atrophie mentale. Le mal fait par l’éducation universelle est si grand qu’on peut sérieusement se demander si jusqu’ici elle a fait du bien ou du mal.
Le point de vue de l’Église sur l’éducation est, pratiquement, peu différent de celui de l’État. Il existe pourtant une divergence importante : l’Église préférerait ne pas éduquer du tout les laïques, et ne les instruit que si l’État y insiste. L’État et l’Église veulent, tous deux, inculquer aux gens des croyances qui seraient probablement ruinées par la recherche libre. Mais il est plus facile d’inculquer la religion de l’État à une population qui sait lire les journaux, et il est plus facile d’inculquer la religion de l’Église à une population complètement illettrée. L’État et l’Église sont hostiles tous deux à la pensée, mais l’Église est aussi hostile à l’instruction (bien qu’actuellement ce soit d’une façon subreptice). Cela changera, et c’est même en train de changer, car les autorités ecclésiastiques perfectionnent la technique d’une instruction qui ne stimule pas l’activité mentale – une technique où jadis excellaient les jésuites.
Dans le monde moderne, on permet rarement au maître d’école d’avoir son point de vue à lui. Il est nommé par un fonctionnaire supérieur de l’éducation et il est renvoyé si on découvre qu’il éduque subversivement. En dehors de ce motif économique, le maître d’école est exposé à des tentations dont il est probable qu’il ne se rend pas compte. Il est pour la discipline, même plus fermement que l’État et l’Église ; officiellement, il sait ce que ses élèves ne savent pas. Sans un élément de discipline et d’autorité, il est difficile de faire respecter l’ordre dans une classe. Il est plus facile de punir un garçon qui a montré de l’ennui que d’être intéressant soi-même. De plus, il est probable que même le meilleur maître d’école s’exagère son importance et estime possible et désirable de façonner ses élèves selon son propre idéal humain. Lytton Strachey décrit le Dr Arnold se promenant aux bords du lac de Côme et méditant sur le « mal moral ». Pour lui, le mal moral était tout ce qu’il voulait extirper de ses garçons. La croyance qu’il y en avait beaucoup en eux le justifiait dans l’exercice du pouvoir et dans sa conception d’un maître dont le devoir était plus de châtier que d’aimer. Cette attitude, différemment exprimée à diverses époques, est l’attitude naturelle de tout maître d’école qui est zélé, sans prendre garde à l’influence décevante du fait de se donner trop d’importance. Néanmoins, le maître d’école est de loin la meilleure des forces agissant dans l’éducation et c’est d’abord à lui que nous devons nous adresser si nous voulons réaliser des progrès.
Puis encore, le maître d’école tient à l’honneur de son école. Cela fait qu’il veut voir ses élèves se distinguer dans des concours d’athlétisme ou aux examens et le conduit à créer une sélection d’élèves supérieurs, à l’exclusion des autres. Pour l’élève moyen, le résultat est très mauvais. Il vaut beaucoup mieux pour un garçon de jouer mal, – mais par lui-même, – que de regarder les autres qui jouent bien. H.G. Wells, dans sa
Vie de Sanderson of Oundle
nous raconte comment ce maître d’école vraiment grand s’éleva contre toute pratique qui avait pour effet de laisser sans exercice et sans soins les facultés de
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