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Et Dieu donnera la victoire

Et Dieu donnera la victoire

Titel: Et Dieu donnera la victoire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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avec de mauvaises intentions. Tu peux dire à tes gars de retourner chez eux.
    Il était de petite taille, massif comme un bahut, avec un ventre débordant de la grosse ceinture cloutée. Il s’était laissé pousser les moustaches si long qu’elles auraient pu faire le tour du cou. Il s’affala dans l’herbe, fit signe à Josef de l’imiter, tandis que ses hommes se dispersaient au bord de la rivière.
    – Tu sais, dit-il, que j’avais signé un engagement avec le duc de Lorraine, le vieux Charles. Il s’était mis dans l’idée de m’envoyer assiéger Tournai, ville demeurée fidèle aux Français. Ça ne m’a pas plu, parce que moi, les Français, je les préfère aux Bourguignons et aux Godons. Alors, je lui ai tiré ma révérence et je suis parti avec mes hommes. On dit qu’il y a de l’embauche à Vaucouleurs.
    Comme il se plaignait d’avoir soif, Josef lui tendit sa gourde. Il fit la grimace.
    – Pas fameuse, ta piquette !
    – Le vin nouveau sera meilleur. Nous n’allons pas tarder à vendanger. Si toi et tes hommes êtes libres, vous pouvez vous présenter : il y aura de l’ouvrage pour tous.
    Josef mit deux doigts dans sa bouche, siffla, fit signe à Jeannette de les rejoindre.
    – Je te présente, dit-il, la plus fière garce du pays. Elle a douze ans, on lui en donnerait quinze. C’est la fille de mon patron, Jacques, une sorte d’échevin. Elle travaille comme un homme et pourrait se battre comme un soldat.
    – Et jolie en plus ! dit le sergent en lissant ses moustaches.
     
    Il lui a semblé qu’une main effleurait son épaule, mais elle se dit que ça pouvait être sa soeur qui l’avait touchée en se retournant dans le lit qu’elles partageaient. Les yeux ouverts, elle sonde du regard les profondeurs de la nuit. Pas une lumière. De la pièce attenante monte le ronflement du père.
    Elle a fait un mauvais rêve : le même ou presque chaque nuit depuis que l’oncle a fait tourner dans sa tête la roue sur laquelle Catherine a souffert son martyre et s’abattre la hache du bourreau sur le cou délicat de Marguerite.
    Se rendormir lui sera difficile, comme chaque fois qu’elle décide de jeûner et que des crampes lui tordent l’estomac. Elle ignore l’heure qu’il peut être. La clarté laiteuse qui se dégage lentement de la nuit n’est pas celle de l’aube. Elle vient à peine de refermer les yeux qu’un nouveau toucher lui effleure l’épaule ; cette fois-ci, elle en est certaine, ce n’est pas Catherine qui a bougé. Cela lui laisse sur la peau une légère brûlure.
    Elle se lève, écarte les volets : la pluie a cessé ; une clarté laiteuse baigne les pommiers et la haie bordant le ruisseau dont elle entend le murmure ponctué par l’appel d’un rapace. Et tout à coup, alors qu’elle s’appuie au bord de la fenêtre, elle se sent figée comme un bloc de marbre, tandis qu’une voix murmure en elle, sans passer par son oreille, comme un battement de coeur : « Va... Va... Va... Fille Dieu... » Sortir, en pleine nuit ? Pour aller où ?
    Guidée elle ne sait par quelle volonté étrangère à la sienne, elle décroche sa cape de pluie, s’en enveloppe et, sans prendre soin de chausser ses sabots, elle saute dans le courtil. Accompagnée du chien Brutus, elle fait deux fois le tour de la maison en pataugeant dans une boue mêlée de fumier comme pour chercher sa direction. Une force la pousse à regagner son lit ; une autre, plus forte, plus insidieuse, l’incite à poursuivre sa quête nocturne. Elle sait maintenant qu’elle doit traverser le ruisseau, s’engager dans un espace de prés et de terres labourées, marcher en direction du Bois-Chenu. De temps à autre, ce qui reste en elle de lucidité s’insurge contre cette folle équipée, mais la voix intérieure se fait de plus en plus précise : « Va... Fille Dieu... Va... »
    Elle ne sent ni le froid ni le contact humide de la terre et de l’herbe. Bientôt, elle ne distingue rien d’autre dans la pénombre qui l’entoure que la silhouette du grand hêtre, noir sur le ciel vaguement lumineux, autour duquel, le dernier dimanche de Laetare Jerusalem , en dépit des consignes du curé, elle a tressé des couronnes de fleurs, dansé et chanté avec les autres filles du village en se donnant des noms de fées, réels ou imaginaires. Il est là, à quelques pas, figé dans le grand silence de la nuit, ses basses branches caressées par une clarté de perle. Il semble enfermer dans ses frondaisons

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