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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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dame, lunettes au nez, parcourait un livre sans vraiment s’attarder au contenu.
    — Je m’ennuie déjà de ma princesse, admit-elle en levant la tête.
    — Tu recevras bien vite sa première lettre. Je lui ai laissé une provision de timbres, de papier et d’enveloppes digne d’un ministre.
    — Tout de même, ce ne sera pas la même chose. A cette heure-ci à peu près, elle passait me voir tous les soirs.
    L’homme s’assit de l’autre côté de la petite table et lui adressa un sourire forcé.
    — Sa petite désertion lui fera du bien. Tu connais le climat de cette maison. Elle se sent très coupable de ne pas aimer sa mère comme elle le devrait. A force de se faire seriner les commandements de Dieu...
    — Mais si tu te souviens bien, il est dit « Père et mère tu honoreras». On ne parle pas d’amour. La nuance me semble importante. Dieu ne demande l’impossible à aucun d’entre nous.
    Après une vie de dévotion, l’aïeule découvrait sur le tard une large part de liberté d’interprétation dans le message religieux. Cela lui permettait d’adapter celui-ci aux circonstances complexes de la vie de sa famille. Même son confesseur, plus très jeune lui non plus, ne se formalisait pas de la situation.
    — Et si Eugénie est sérieusement malade, cela lui enlèvera un poids de plus des épaules, précisa l’homme.
    — Oh ! Tu n’as pas besoin de me convaincre, je sais que tu as fait pour le mieux.
    Elle le gratifia de son meilleur sourire. De toute sa vie, son fils ne l’avait déçue qu’une fois, le jour de son mariage.
    Dommage que cette unique désobéissance ait eu des conséquences si durables. Puis, elle se corrigea tout de suite: les trois enfants faisaient partie de celles-ci. Et eux se montraient une bénédiction.
    — Tu y crois, toi? demanda-t-elle après une pause. Je veux dire, à la gravité de la maladie de ta femme.
    — Tu as pu remarquer comme moi les symptômes. Elle retournera voir le docteur Picard dès que possible.
    — Lors de mon retour d’âge, je devais avoir cinquante ans, dit-elle.
    Tous les deux préféraient taire le nom des affections pouvant entraîner de telles manifestations.
    — Pour tout dire, continua la vieille dame, moi aussi je pense de nouveau à prendre la faite.
    Fernand demeura silencieux. Il se souvenait de sa demande, au lendemain de la mort de son père.
    — Peut-être devrais-je me retirer à l’Hôpital général. Je commence à me faire vieille.
    — Moins qu’il y a dix ans.

    Elle lui adressa un sourire reconnaissant.
    — Et peu après ma première demande, tu as accepté toutes ces dépenses pour me rendre la vie plus facile.
    Ensuite, jamais tu n’as dit un mot sur le fait que ma vieille domestique ne faisait plus rien dans la maison.
    — Dans ce cas, je ne respecte pas le commandement de Dieu, car j’aime ma mère.
    Elle allongea sa main rendue noueuse par l’arthrite pour la poser sur la sienne.
    — Nous savons tous les deux de qui Béatrice a tiré son bon caractère.
    Après un moment de silence ému, il dit encore :
    — Maman, je ne t’empêcherai pas de partir. Je veux seulement que tu saches combien je préfère te voir rester ici.
    Tu manquerais à tout le monde, et à moi en premier.
    — A tout le monde ?
    Le sourire de l’aïeule revêtait une douce ironie.
    — La peur de la maladie rend Eugénie plus conciliante qu’elle ne l’a jamais été dans le passé, même avec moi. Je pense que tu lui manquerais aussi.
    — Je l’ai remarqué.
    — Sa frayeur est comme un papier sablé qui adoucit les surfaces. Nous risquons moins d’être blessés par les aspérités de ses humeurs.
    — A l’intérieur, change-t-elle vraiment?
    Fernand resta un long moment songeur. Puis, il dut admettre :
    — Je ne sais pas. Après toutes ces années, en vérité cela ne m’intéresse plus. J’ai passé quatre ans à me désespérer de son attitude...
    Il s’arrêta, comme si le sujet méritait un instant de réflexion, puis enchaîna :
    — Après avoir eu la grippe espagnole, je n’ai plus jamais été le même. Elle ne m’aimait pas, je l’ai accepté comme un fait définitif. J’ai cessé de vouloir changer ça. Puis je me suis demandé ce que je pourrais faire avec le reste de mon existence, dans les limites que m’impose la société.
    — Jeanne...
    — Elle était là, charmante, disponible.
    — Mais cela ne pouvait te conduire bien loin.
    L’homme hocha la tête. Il avait profité des rénovations à la

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