Eugénie et l'enfant retrouvé
maison pour se ménager une petite garçonnière peu accessible. C’était sa revanche sur la décision de sa femme de le chasser de la chambre conjugale.
La vieille madame Dupire se garda bien de demander qui avait remplacé la domestique dans la vie de son fils, même si elle s’en doutait. Cela aussi faisait partie de sa nouvelle sagesse : ne pas chercher à connaître des vérités trop dérangeantes.
— Pour l’Hôpital général, je vais tout de même attendre de voir ce qui se passe avec elle.
L’aïeule parlait d’Eugénie. Fernand essaya de ne pas imaginer comment l’état de santé de sa femme orienterait la décision de sa mère. Il ne voulait pas en venir à espérer le pire pour continuer de profiter de sa présence.
Chapitre 12
Même enclin à croire toutes les chimères, surtout la sienne, Fulgence Létourneau n’avait pu trouver un investisseur pour se porter acquéreur avec lui des ateliers Picard.
L’utilisation des petites annonces s’était révélée grotesque.
Elles le mettaient en contact avec des arnaqueurs sans scrupule, ou avec des désespérés comme lui. Dans la première éventualité,
les
voleurs
comprenaient
bien
vite
ne
pouvoir rien tirer de ce petit homme sans le sou, dans la seconde, à moins de vouloir former une association de ratés, ces gens ne lui servaient à rien.
Au cours des premiers jours du mois d’août, un petit notaire fit visiter la bâtisse à des acheteurs potentiels. Les événements se déroulaient exactement comme l’avait prévu Edouard Picard. Pendant deux semaines, le directeur désespéré erra dans de grands locaux vides. Le 1er septembre tombant un samedi, l’homme brisé eut droit à un jour de congé. Il occuperait ses nouvelles fonctions le lundi suivant.
Un peu avant l’ouverture des portes du magasin PICARD
à la clientèle, revêtu d’un costume un peu élimé, l’ancien gérant se tenait derrière un comptoir placé près de l’ascenseur, au rez-de-chaussée, à la tête du plus petit rayon du commerce. On y vendait du tabac, des cigarettes, des cigares et du matériel pour fumeur, mais aussi des journaux, des cartes postales, des souvenirs destinés aux touristes.
A neuf heures trente, Edouard Picard pénétra dans son entreprise par la porte de la rue Desfossés. Pour se rendre à son bureau, il pouvait gravir l’escalier de la vieille bâtisse érigée en 1876, ou alors emprunter l’ascenseur de la nouvelle datant de 1891.
Ce dernier trajet lui donnerait l’occasion d’une bonne action.
— Ah ! Fulgence, dit-il en lui tendant la main, je suis heureux de vous voir fidèle au poste.
— ... Merci, monsieur Picard.
— Comment les choses se passent-elles ?
— Je ne sais trop comment juger l’achalandage après quelques minutes. J’ai vendu des journaux et des cigarettes.
Le patron examinait le visage de son employé. Bien sûr, à son âge, les signes de vieillissement commençaient à apparaître, mais celui-là semblait prendre les années deux à la fois. Très maigre, sa peau se collait aux os du crâne.
Chauve, une couronne de cheveux gris et des rides très creuses ajoutaient à son allure pitoyable.
— Allez, bonne continuation, dit-il en appuyant sur le bouton pour appeler l’ascenseur. Ne vous inquiétez pas, bientôt vous monterez quelques étages.
— ... Merci, monsieur.
Quand la porte de la cage de laiton se referma dans son dos, l’homme se dit que la promotion s’avérerait d’autant plus indiquée qu’il convenait de placer une jeune personne souriante dans un endroit aussi passant. Les clients se contenteraient plus facilement d’un faciès lugubre pour acheter une machiné à laver le linge.
*****
Un poing cogna avec force contre la porte du bureau du directeur du grand magasin. Puis on l’ouvrit avec un certain fracas.
— Monsieur, un malheur. Descendez vite.
Rita Faucher lui sembla plus pâle que d’habitude.
Comme elle n’était pas du genre à s’énerver facilement, Edouard devina le sérieux de la situation.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il en se levant.
— Cet homme, Létourneau, il a eu un malaise.
Il se dirigea sans hésiter vers l’escalier, convaincu d’arriver ainsi plus vite au rez-de-chaussée. Presque au pied de celui-ci, un attroupement s’était formé, si dense que d’abord il ne vit rien.
— Eloignez-vous, dit-il d’une voix autoritaire.
Un peu à regret, la foule de clients s’écarta un peu.
Fulgence était sur le
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