Eugénie et l'enfant retrouvé

ai mis de la poudre à gratter.
    Une fois leur affection commune exprimée, la jeune fille monta dans la voiture la première afin de verser une larme en toute discrétion. Eugénie la suivit bientôt. La fillette se trouva coincée entre sa mère et son père sur la large banquette avant.
    Les garçons regardèrent la voiture sortir de la cour, agitèrent la main, puis rentrèrent dans la maison. Le trajet prendrait tout au plus une trentaine de minutes. La Grande Allée conduisait au chemin Saint-Louis. Après avoir passé au nord de l’église de Sillery, facilement repérable à son clocher, ils aperçurent la grande bâtisse en pierre sur leur gauche.
    Fernand s’engagea dans une longue allée, puis se stationna parmi une trentaine d’autres véhicules. En ce jour de la rentrée des élèves, ce serait un va-et-vient continuel toute la journée. Eugénie descendit de voiture la première et se tint devant le pensionnat.
    — Tu seras heureuse ici, je pense, avec des jeunes filles de ton âge.
    Béatrice donna son assentiment d’un geste de la tête.
    Fernand ouvrit la portière arrière de la voiture. Il réussit à faire glisser la malle jusque sur le sol mais, seul, il n’irait pas plus loin. A cinq pas, il aperçut un homme aux prises avec le même dilemme.
    — Monsieur, je vais vous aider à porter la vôtre, si vous revenez ensuite prendre un bout de celle-ci. Ce sera le plus simple, je pense.
    — Ah ! Bien sûr, je vous remercie. Ce n’est pas si lourd, mais plutôt encombrant.
    À deux, ils transportèrent la première malle. L’épouse et la fille de l’inconnu se joignirent à eux. Le grand escalier comptait une vingtaine de marches. Les portes s’ouvraient sur un hall assez exigu, déjà encombré de bagages. Un petit homme avec un chariot, aidé d’un garçon qui devait être son fils, ne suffisait pas à les monter rapidement jusqu’aux dortoirs, sous les combles.
    Un petit essaim de religieuses en robes noires recevait les parents des élèves.
    — Transportons votre bagage tout de suite, dit l’inconnu. Ces dames sont toutes occupées, pour l’instant.
    Ils revinrent dans le stationnement. Pendant leur absence, la fille et la mère n’avaient pas échangé un mot.
    Cette dernière contempla l’escalier, puis déclara :

    — Je ne me sens pas la force de gravir toutes ces marches.
    Nous allons nous dire au revoir ici. Je te souhaite une bonne année.
    — Merci, maman.
    Les deux hommes s’éloignaient déjà avec leur fardeau.
    Béatrice les suivit, puis se retourna, revint sur ses pas pour dire encore :
    — Maman, je souhaite que ta santé s’améliore.
    — Merci, tu es gentille.
    Puis ce fut au pas de course que la fillette les rejoignit.
    Cette fois, une religieuse vint tout de suite à leur rencontre pour connaître le nom des nouvelles élèves et leur attribuer une place dans le dortoir. Les deux gamines se regardèrent un moment, puis la blonde dit:
    — Bonjour, je m’appelle Béatrice.
    — Claire. Je vais entrer dans la classe d’Eléments.
    — Moi aussi.
    Le hasard les avait fait arriver ensemble au couvent, il les placerait dans des couchettes voisines au dortoir. Elles devraient décider elles-mêmes de devenir les meilleures amies du monde, ou de s’ignorer.
    Après avoir dit quelques mots à la directrice, Fernand revint vers sa fille en lui tendant les bras. Elle s’y réfugia.
    Une religieuse s’approcha en disant :
    — Viens avec moi, je vais te conduire en haut. Tu pourras ranger toutes tes choses, puis descendre au réfectoire prendre une collation avec tes camarades.
    Le personnel de l’établissement possédait une longue expérience de ces situations. Moins longtemps duraient les adieux, plus vite les filles apprivoisaient leur nouvel univers et plus facile se révélait l’adaptation des nouvelles.
    — Alors, à dimanche, ma grande.

    — A dimanche, papa.
    Elle disparut bien vite dans l’escalier, accompagnée de son guide. Pendant tout le chemin du retour, les parents ne dirent pas un mot. Eugénie, le front appuyé contre la vitre de la portière, semblait absorbée par le temps qui passe.

    *****
    Depuis les dernières années, madame Dupire préférait manger dans sa chambre. Si elle plaidait ses mauvaises jambes, personne ne se montrait dupe. À son âge, s’imposer des présences désagréables ne lui disait rien. En soirée, Fernand frappa doucement à la porte, ouvrit en entendant le « Entre » prononcé à mi-voix.
    La vieille