Eugénie et l'enfant retrouvé
mère en le lui enlevant des mains.
Le garçon continua à chercher, s’attardant aux enveloppes. Un élastique en rassemblait plusieurs. Elles portaient le nom et l’adresse
d’un
cabinet
de
notaire
de
la
Haute-Ville. Il les mit de côté, continua son investigation.
Après une demi-heure, il découvrit la correspondance la plus récente, et bientôt la lettre de La Survivance.
— La voilà.
— Ouvre, moi je ne saurais même pas démêler les lignes.
La tête lui tournait, le sang lui battait aux tempes.
Jacques déplia une première feuille.
—
C’est bien cela, une demande de paiement datée du 10
juillet.
Ses yeux revinrent en haut de la page. En lettres capitales, il lut «SECOND AVERTISSEMENT ». En posant le bout de l’index sur ces mots, il demanda :
— Comment se fait-il que tu ne l’aies pas incité à payer dès la première lettre ?
— Un oubli. Je ne peux pas penser à tout.
Malgré ce plaidoyer, le rouge lui monta aux joues. Le garçon ajouta bientôt à son malaise en citant un passage.
— « Si vous ne réglez pas la facture ci-jointe dans les huit jours, lut-il, nous considérerons que vous mettez fin à votre protection. »
Le feuillet suivant était la facture proprement dite : trente-deux dollars et quatorze sous. De nouveau, Jacques parcourut le livret, ne trouva nulle part ce montant dans la colonne des débits.
— Il n’a pas payé, conclut-il. Aucun chèque de ce montant n’a été décaissé.
— Ça ne se peut pas.
— D’ailleurs, la partie détachable se trouve toujours là.
Du doigt, il désignait le bas de la facture. Une ligne pointillée délimitait le bout de papier à joindre avec le chèque.
— Il a pu mettre de l’argent comptant dans une enveloppe. Ou alors, aller payer en personne.
Accepter la terrible réalité semblait impossible à cette femme. Affecté par sa situation professionnelle, Fulgence avait dû mettre la missive dans la poche de sa veste, pour ne plus y repenser ensuite. Ou alors, craignant une chute abrupte de ses revenus, il désirait épargner trente-deux dollars. L’homme ne pouvait prévoir son propre décès.
— Pendant toutes ces années, nous avons toujours payé régulièrement, gémit-elle encore.
— Et pendant ces années, nous étions couverts par La Survivance. Mais nous ne le sommes plus.
— Ils ne peuvent pas nous faire ça, nous avons besoin de cet argent tous les deux.
— Les affaires ne fonctionnent pas comme cela, maman.
Jacques allongea la main pour reprendre le livret bancaire. Il chercha le dernier solde inscrit, une somme tout de même conséquente : un peu moins que la rémunération de Fulgence pendant deux ans.
— Papa possédait-il d’autres épargnes ?
— Non... Nous n’étions pas riches, tu sais.
Cela était plus ou moins vrai. Le salaire du directeur des ateliers Picard doublait celui d’un travailleur qualifié, multipliait par quatre celui des couturières. Cela en faisait un notable dans la paroisse.
— La maison, ici, est payée en entier ?
— Ça, oui. Mais tu imagines, s’il avait poursuivi sa chimère de la mettre en garantie pour acheter les ateliers.
Nous serions à la rue, aujourd’hui.
Une nouvelle fois, le cerveau de Jacques s’emballait.
Tous ses projets d’avenir chancelaient.
— Avez-vous payé les frais de scolarité de cette année ?
— Oh ! Mais oui, mon grand, ne t’inquiète pas pour cela.
Tout de même, il lui restait cinq années d’études à effectuer.
En comptant au plus serré, arriveraient-ils jusque-là ? Peut-être.
Mais
ensuite,
sa mère
n’aurait
plus
un
sou.
A
moins de s’enfuir à l’autre bout du monde, il commencerait sa carrière avec une vieille dame totalement à sa charge.
— Je me demande si le plus simple ne serait pas de vendre la maison pour louer un petit appartement, suggéra-t-il, juste assez grand pour nous deux.
— Ce que tu dis n’a pas de bon sens... il faudrait payer un loyer, alors qu’ici, il n’y a que les taxes à régler.
Le décès de Fulgence paraissait un lointain souvenir tellement leur propre sort les préoccupait maintenant.
— Je ne sais pas trop, plaida Jacques. Il faudrait s’informer, calculer le tout soigneusement...
Il marqua une pause, chercha ses mots afin de produire le meilleur effet.
— Bien sûr, je pourrais chercher un emploi dès maintenant...
— Voyons, nous n’en sommes pas là, dit-elle, alarmée, en posant une main sur la sienne.
— Mais ce ne
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