Excalibur
jour. Les femmes posaient des nasses dans
la rivière pour nourrir leurs enfants, les hommes enterraient les cadavres, et nous,
nous étions allongés au soleil à parler de bardes.
Arthur revint
le lendemain du jour où les Saxons creusèrent leurs premières tombes. Il
éperonna son cheval pour traverser le col et remonter le versant nord abrupt du
Mynydd Baddon, incitant Guenièvre à coiffer son casque et à s’accroupir parmi
un groupe d’hommes. Sa chevelure rousse s’étalait dans son dos comme une
bannière, mais Arthur fit semblant de ne rien voir. Je m’étais rendu à sa
rencontre jusqu’à mi-pente, mais là je m’arrêtai et le regardai avec
étonnement.
Son bouclier,
fait de planches de saule recouvertes de cuir, sur lequel on avait martelé un
fin placage d’argent poli qui réfléchissait la lumière du soleil, portait
maintenant un nouveau symbole : une croix, une croix rouge faite de bandes
de tissu collées sur le métal. La croix chrétienne. Il vit ma stupéfaction et
me fit un large sourire. « Ça te plaît, Derfel ?
— Tu es
devenu chrétien, Seigneur ? » J’étais consterné. « Nous sommes
tous devenus chrétiens, Derfel, toi aussi. Fais chauffer une lame et marque vos
boucliers d’une croix. »
Je crachai
pour conjurer le mauvais sort. « Tu veux que nous fassions cela, Seigneur ?
— Tu m’as
entendu, Derfel. » Il se laissa glisser du dos de Llamrei et gagna les
remparts sud d’où il pouvait contempler l’ennemi. « Ils sont toujours là,
bien. »
Cuneglas,
descendu lui aussi à sa rencontre, avait entendu l’ordre d’Arthur. « Tu
veux que nous mettions une croix sur nos boucliers ? lui dit-il.
— Je ne
saurais rien exiger de toi, Seigneur Roi, mais si tu marques ton bouclier et
ceux de tes hommes d’une croix, je t’en serais reconnaissant.
— Pourquoi ? »
demanda-t-il d’un air farouche. Son opposition à la nouvelle religion était
bien connue.
« Parce
que la croix est le prix à payer pour l’armée du Gwent », répliqua Arthur
qui contemplait toujours l’ennemi.
Cuneglas le
regarda comme s’il avait du mal à en croire ses oreilles.
« Meurig
va venir ? demandai-je.
— Non,
pas Meurig, répondit Arthur en se tournant vers nous. Le roi Tewdric. Ce bon
Tewdric. »
Tewdric était
le père de Meurig, ce roi qui avait abandonné son trône pour se faire moine, et
Arthur s’était rendu dans le Gwent pour implorer le vieil homme. « Je
savais que c’était possible, me dit Arthur, parce que Galahad et moi, nous nous
sommes entretenus avec lui pendant tout l’hiver. » Pour commencer, le
vieux roi avait rechigné à abandonner sa vie pieuse et étriquée, mais d’autres
hommes du Gwent avaient ajouté leurs voix aux prières d’Arthur et de Galahad,
si bien qu’après des nuits passées à prier dans sa petite chapelle, Tewdric
aurait fini par déclarer, à contrecœur, qu’il remonterait temporairement sur le
trône et mènerait l’armée de son pays contre les Saxons. Meurig avait combattu
cette décision, qu’il considérait à juste titre comme un blâme et une humiliation,
mais l’armée qui soutenait le vieux roi s’était aussitôt mise en marche pour le
sud. « Il y avait un prix à payer, reconnut Arthur. Je devais rendre
hommage à leur Dieu et promettre de lui attribuer la victoire, mais j’aurais
fait la même chose avec n’importe quel dieu pour que Tewdric nous amène ses
lanciers.
— Et le
reste du prix ? » demanda Cuneglas avec finesse.
Arthur fit la
grimace. « Ils veulent que tu laisses les missionnaires de Meurig entrer
dans ton pays.
— Rien
que cela ?
— J’ai
peut-être donné l’impression que tu leur ferais bon accueil, avoua Arthur. Je
suis désolé, Seigneur Roi. Cette exigence ne m’a été imposée qu’il y a deux
jours, l’idée venait de Meurig et il fallait bien lui sauver la face. »
Cuneglas fit lui aussi la grimace. Il s’était efforcé de préserver son royaume
du christianisme, estimant que le Powys n’avait que faire de l’acrimonie qui
accompagnait toujours la nouvelle foi, mais il ne protesta pas. Mieux valait
des chrétiens dans le Powys que des Saxons.
« C’est
tout ce que tu as promis à Tewdric, Seigneur ? » demandai-je,
soupçonneux. Je me souvenais que Meurig avait réclamé le trône de Dumnonie et
qu’Arthur désirait ardemment être dégagé de ses responsabilités.
« Ces
traités comportent toujours quelques petits détails
Weitere Kostenlose Bücher