Excalibur
d’un ton cassant, et va trouver Aelle. »
J’avais deviné
qu’il allait me le demander. Je ne répondis pas tout de suite, mais regardai
Issa pousser ses jeunes gens à former un mur de boucliers qui me paraissait
branlant. Puis je me tournai vers Arthur. « Je croyais qu’Aelle avait promis
la mort à tes émissaires ? »
Arthur ne me
regarda pas. Ses yeux restèrent fixés sur ce lointain monticule vert. « Les
anciens disent que l’hiver sera rigoureux cette année, et je veux la réponse d’Aelle
avant la tombée de la neige.
— Bien,
Seigneur. »
Il avait dû
entendre le chagrin qui imprégnait ma voix car il se tourna de nouveau vers
moi. « Aelle ne tuera pas son propre fils.
— Espérons
que non, Seigneur, répliquai-je sans me fâcher.
— Alors,
va le trouver, Derfel », dit Arthur. Pour ce qu’il en savait, il venait de
me condamner à mort, mais il ne montrait aucun regret. Il se leva et brossa les
brins d’herbe accrochés à sa cape blanche. « Si nous pouvons battre Cerdic
au printemps, alors nous reconstituerons la Bretagne, Derfel.
— Oui,
Seigneur », dis-je. Il rendait tout si simple : rien que battre les
Saxons, puis reconstituer la Bretagne. Je réfléchis qu’il en avait toujours été
ainsi : une dernière grande tâche à accomplir et, forcément, les plaisirs
s’ensuivraient. On ne savait pas pourquoi, cela n’avait jamais marché, mais
maintenant, en désespoir de cause et pour nous donner une dernière chance, je
devais aller voir mon père.
Je suis un
Saxon. Erce, ma mère, fut capturée enceinte par Uther et réduite en esclavage
et je naquis peu après. J’étais encore enfant lorsqu’on me sépara d’elle, mais
j’avais eu le temps d’apprendre la langue saxonne. Plus tard, bien plus tard,
juste avant la rébellion de Lancelot, j’ai retrouvé ma mère et appris que mon
père était Aelle.
Je suis donc d’origine
purement saxonne et à demi royale, même si, ayant été élevé parmi les Bretons,
je ne me sens aucune parenté avec les Saïs. Pour moi, comme pour Arthur et tout
autre Breton né libre, ce peuple est une plaie qui nous est venue de l’autre
rive de la mer de Germanie.
D’où ils
viennent, nul ne le sait vraiment. Sagramor, qui a voyagé plus loin que n’importe
quel autre commandant d’Arthur, m’a dit, tout en avouant n’y avoir jamais été,
que le pays des Saxons était une terre lointaine de tourbières et de forêts
noyées dans le brouillard. Il sait seulement qu’elle est quelque part de l’autre
côté de la mer et qu’ils la quittent, prétend-il, parce que la terre de
Bretagne est meilleure, mais j’ai aussi entendu dire que la patrie des Saxons
est assiégée par un autre peuple, encore plus étrange, des ennemis venus du
bord le plus éloigné du monde. Mais quelle qu’en fût la raison, cela fait cent
ans maintenant que les Saxons traversent la mer pour nous prendre notre pays et
maintenant, ils tiennent tout l’est de la Bretagne. Nous appelons ce territoire
qu’ils nous ont volé le Llogyr, les Terres Perdues, et il n’y a pas un homme de
la libre Bretagne qui ne rêve de les récupérer. Merlin et Nimue croient que
seuls les Dieux pourront les reprendre, alors qu’Arthur souhaite le faire par l’épée.
Ma tâche était de diviser nos ennemis pour rendre celle des Dieux ou d’Arthur
plus légère.
Je partis en
automne, alors que les chênes s’étaient vêtus de bronze et les hêtres de rouge,
et que le froid voilait les aubes de sa blancheur. Je voyageai seul, car si
Aelle devait récompenser la venue d’un émissaire en lui accordant la mort, il
valait mieux qu’il n’y ait qu’une victime. Ceinwyn m’avait supplié d’emmener
des hommes, mais à quoi cela aurait-il servi ? Une troupe de guerriers ne
pouvait espérer l’emporter sur la puissante armée d’Aelle, et donc, tandis que
le vent dépouillait les ormes de leurs premières feuilles jaunes, je partis à
cheval en direction de l’est. Ceinwyn avait tenté de me persuader d’attendre
jusqu’à Samain, car si les invocations de Merlin réussissaient à Mai Dun, alors
il n’y aurait plus besoin d’envoyer des émissaires aux Saxons, mais Arthur ne
voulut admettre aucun délai. Il mettait tous ses espoirs dans une trahison d’Aelle
et voulait une réponse du roi saxon, aussi je chevauchai vers lui, dans l’unique
espoir de pouvoir survivre et rentrer en Dumnonie pour la Vigile de Samain. J’avais
ceint mon
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